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dédaignaient pas de manier le pinceau ; on cite, par exemple, le métropolite Macaire. Cet art, en apparence tout impersonnel, n’est pas toujours anonyme. Parmi ces artistes qui peignaient comme ils priaient, répétant les mêmes figures aussi bien que les mêmes oraisons, il en est auxquels la finesse de leur pinceau et le fini de leur exécution ont valu, à travers les âges, un renom durable. Tel, entre autres, André Rouble ! , dont les tableaux étaient déjà donnés en modèles au XVIe siècle. Aujourd’hui encore, les a vieux-croyans » de Moscou se disputent au poids de l’or les panneaux attribués à Roublef.

C’est au XVIe et au XVIIe siècle que la peinture et la ciselure religieuses devinrent des industries séculières. L’imagerie sacrée se laïcisa ; mais, pour la laisser sortir des monastères, l’église ne cessa pas d’exercer sur elle une vigilante tutelle. Peintes ou sculptées, les images restèrent soumises à une sorte de censure ecclésiastique. Les clercs rédigèrent, pour les artisans des saintes icônes, des manuels d’iconographie analogues à ceux des Byzantins. Le concile du Stoglaf ou des cent chapitres, tenu vers 1550, enjoint aux évêques de veiller sur les peintures et sur les peintres, de leur prescrire les sujets et la manière de les disposer. On ne demandait pas seulement à l’artiste sacré d’avoir une main exercée, on exigeait que cette main fût assez pure pour n’être pas indigne de représenter le Christ et la Vierge[1]. La peinture des icônes était encore considérée comme une sorte de ministère sacré. De nos jours même, ne s’est-il pas trouvé des Russes pour demander que la vente n’en fut permise qu’aux orthodoxes et que ce pieux trafic fût interdit aux Juifs ? L’une des choses les plus recommandées aux imagiers, c’est toujours de copier scrupuleusement leurs modèles. Le Stoglaf réprouve comme une licence les libertés qu’une main téméraire oserait prendre avec les figures saintes. Le Moscovite, comme aujourd’hui encore les vieux-croyans, était porté à regarder toute déviation des types consacrés comme une sorte d’hérésie. Autant eût valu, pour lui, altérer le texte de la liturgie. On distingue bien, dans l’ancienne peinture russe, diverses écoles, l’école Strogonof, par exemple ; mais ces écoles (il serait plus juste de dire ces ateliers) ne diffèrent guère que par le traitement des draperies ou par le coloris. La vénération pour les saintes figures était

  1. le concile du Stoglaf exprime avec une curieuse naïveté les qualités nécessaires aux peintres : « Le peintre, dit l’article 43 des cents chapitres, doit être humble, doux, retenu dans ses paroles, sérieux, éloigné des querellés et de l’ivrognerie, ni voleur ni assassin, et surtout garder la pureté de son âme et de son corps. Et celui qui ne peut se contenir qu’il se marie selon la loi. Et il convient que les peintres visitent souvent leurs pères spirituels, les consultent sur toutes choses et vivent, d’après leurs conseils et instructions, dans le jeûne, la prière, la continence. » (Voyez Étude d’iconographie chrétienne en Russie, par J. Dumouchel, d’après Bouslaief. Moscou, 1874.)