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assez marqués pour prendre parfois l’individualité d’un portrait.

Comme les rites, l’art, dans l’église orientale, est demeuré essentiellement symbolique. Les images ne sont en quelque sorte qu’une partie de la liturgie. Ce caractère emblématique est visible dans les grandes fresques murales, comme dans les petits reliefs de cuivre. La Trinité est figurée par Abraham devant les trois anges. Les sept conciles personnifient l’autorité de l’église et la pureté de la foi. Les scènes des deux Testamens se font parfois pendant, par types et antitypes, comme jadis dans nos vieilles églises. La vie du Christ ou de la Vierge est représentée par mystères, conformément à un ordre et à des règles invariables. Les saints et les anges, distribués par chœurs, font passer en revue les bataillons de l’armée céleste, chacun avec ses attributs : patriarches, apôtres, martyrs, vierges, évêques, sans oublier la troupe des stylites, debout sur leurs colonnes. Anges et bienheureux sont, jusqu’à une époque voisine, demeurés conformes à la tradition byzantine. Les saints russes, en prenant rang parmi les saints grecs, se sont modelés sur eux ; ils en ont pour ainsi dire endossé l’uniforme.

Dans cette Russie orthodoxe, les types semblent s’être conservés, comme le dogme, immobiles en leur attitude hiératique. Le Russe n’y a guère rien ajouté ni rien retranché. A l’inverse de son architecture, on y chercherait en vain quelque élément asiatique, mongol ou hindou. Si le Moscovite s’y est montré original, c’est par le procédé, spécialement par le travail du bois et du métal. Chez lui, plus encore que chez les Grecs, cet art rigide, avec ses longues figures aux chapes d’argent, a quelque chose d’enfantin et de vieux à la fois ; il garde une sorte de naïve pédanterie qui n’est pas dénuée de charme. Sa rigidité même lui donne quelque chose d’étranger à la terre et au temps, d’irréel et d’immatériel qui sied malgré tout aux personnages célestes. Puis, en Russie, de même qu’en Orient, cet art contempteur de la beauté et de la nature, qui a l’air de prendre à la lettre les malédictions évangéliques contre la chair et le monde, a lui aussi son éclat et sa beauté. A la simplicité, à la pauvreté des formes et du coloris, il aime à joindre le luxe de la matière et la somptuosité de l’ornementation. Ce qui rend l’art byzantin éminemment décoratif le rend, aux yeux du peuple, éminemment religieux, parce qu’à l’austérité des figures il allie l’opulence du cadre et la richesse des matériaux. Des saints émaciés dans un ciel d’or, n’est-ce pas ainsi que le moujik se représente encore le paradis ?

Dans l’ancienne Russie, à Novgorod, à Pskof, à Moscou, la peinture a longtemps été un art tout monastique, confiné dans les cellules des couvens. Le peintre était d’ordinaire un moine voué à la reproduction des saintes icônes, comme d’autres à la copie des saints livres. Les dignitaires ecclésiastiques, les évêques même, ne