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administration a beau ouvrir, plusieurs fois par an, des concours dans les départemens, il ne s’y présente à peu près personne : la perspective de faire un stage non rémunéré et de végéter une dizaine d’années avec un traitement de 1,200 francs n’est pas faite pour tenter un jeune homme ; il y a plus de profit et d’avenir à être garçon épicier que commis des postes. Les douanes et les contributions indirectes ne trouvent guère de recrues que dans les familles de leurs employés subalternes, l’esprit d’imitation, naturel à leur âge, prédisposant les enfans à embrasser la carrière paternelle. Les concours pour les perceptions sont eux-mêmes de moins en moins fréquentés, parce que la carrière est envahie par les anciens militaires et surtout par les protégés des députés, et que le cautionnement à verser l’interdit aux prétendans peu fortunés. On verra donc, de moins en moins, se renouveler dans l’administration française l’exemple de M. Barbier, qui, devenu directeur-général des douanes et des contributions indirectes, se plaisait à raconter qu’il avait commencé sa carrière en montant la garde, comme simple douanier, sur les quais de Marseille.

Le personnel supérieur sort de plus en plus des bureaux de Paris, et c’est une des causes qui en expliquent l’encombrement. Certaines administrations exigent le baccalauréat, ce qui impose l’obligation de faire des études classiques à des jeunes gens qui n’en ont ni le goût ni l’aptitude ; quelques-unes ajoutent à l’exigence du baccalauréat un examen spécial, généralement insignifiant ; d’autres, comme le ministère de la guerre, se contentent de cet examen. Les jeunes gens sont déclarés admissibles par fournées : que deviennent-ils ? On commence par leur imposer un stage fort long, qui est très onéreux pour leurs familles et qui les démoralise eux-mêmes. Autrefois, on était surnuméraire douze ou quinze mois, et cela était réputé fort dur. Actuellement, certaines de nos administrations centrales ont inventé la situation d’aspirant surnuméraire, qui leur permet d’infliger aux débutans un stage non rétribué de trente ou quarante mois, quelquefois plus. On ne peut évidemment exiger ni beaucoup d’assiduité ni beaucoup de travail de gens à qui l’on prend gratuitement plusieurs années de leur existence ; il en résulte que les jeunes gens contractent des habitudes d’inexactitude et de nonchalance qu’ils conservent pendant tout le cours de leur carrière administrative. Les voilà commis à 1,800, puis à 2,100 francs : à quoi sont-ils employés ? A faire des expéditions, à collationner des pièces, à former et mettre en ordre des dossiers, et autres besognes de pure routine qui ne disent rien à leur esprit, qui ne les initient point aux affaires et ne les préparent en rien à ce qui doit être leur carrière définitive. Au bout de