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l’injustice et de l’inconséquence des partis. Pendant dix ans, certains journaux et nombre de députés n’ont cessé de dénoncer le personnel entier des services financiers et d’en réclamer l’épuration, comme une mesure urgente, comme une œuvre de salut public. Voici maintenant que les mêmes journaux et les mêmes députés se plaignent de l’affaiblissement des revenus indirects, de la tiédeur et de la mollesse des agens de perception : ils accusent ces agens de fermer les yeux sur la fraude, de pactiser avec les fraudeurs. Le pays récolte ce qu’ils ont semé. Pour servir la rancune d’un sénateur ou l’ambition d’un député, pour faire avancer un protégé ou caser un agent électoral, on a brisé la carrière d’une foule d’employés honnêtes, intelligens et expérimentés, qui ne transigeaient point avec le devoir professionnel et ne tenaient pas compte des influences locales. Les uns ont été mis prématurément à la retraite, les autres acculés à une démission, d’autres enfin brutalement révoqués. Ceux que l’épuration n’a pas atteints, intimidés et se sentant suspects, n’ont plus d’autre préoccupation que de se faire oublier et de ne point attirer sur eux la redoutable attention des députés et de leurs agens électoraux. C’est ainsi qu’on a désorganisé et condamné à une paralysie volontaire des administrations entières dont le personnel ne laissait rien à désirer sous le rapport de l’expérience et de la probité. On ne saurait trop insister sur ce point, qui est tout à l’honneur des fonctionnaires que l’on a traqués avec tant d’acharnement : pendant bien des années, on a pu voir, dans nos départemens industriels du nord et de l’est, à deux pas de la frontière, de modestes employés, aux appointemens les plus modiques, percevoir en quelques jours 100,000 francs de droits et parfois davantage sans qu’un seul détournement fût signalé.

Il n’y a point de réductions à opérer dans les traitemens des employés des régies financières ; ces traitemens sont demeurés au minimum compatible avec les nécessités de l’existence. Si l’on tentait de diminuer le nombre des employés, on s’apercevrait bientôt, à l’affaiblissement des recettes, que l’on a fait la plus ruineuse des économies. La matière imposable échapperait comme à travers les mailles d’un filet trop large, et la fraude prendrait un rapide essor. Le seul service où l’on pourrait signaler une certaine surabondance de personnel serait celui des douanes, et uniquement en ce qui concerne la surveillance des côtes : la contrebande de mer est peu à redouter aujourd’hui, parce qu’elle ne saurait donner aucun profit, et l’on peut se demander s’il est bien utile de conserver, en haut de falaises abruptes, des postes de douane aussi rapprochés ; encore serait-il préférable, au lieu de supprimer quelques centaines de douaniers, de les employer à renforcer les postes souvent insuffisans de la frontière de terre.