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quoi M. Cherbuliez fait cette réflexion, que cela est bien possible, car, après tout, la liberté est un grand mystère. Non-seulement la liberté, mon cher confrère, mais le libéralisme aussi, car il vous est arrivé quelquefois, n’est-ce pas, de le rencontrer là où vous ne le cherchiez pas, et de ne pouvoir le dénicher là où l’on vous disait qu’il avait élu domicile?

Ces cavaliers qui ne pouvaient dire : « C’est la faute à Rousseau, c’est la faute à Voltaire, » murmurèrent cependant quelque chose de tout autrement grave : « C’est la faute à la Bible, » et les plus fermes d’esprit, poussant jusqu’à la racine première qui produit bibles et évangiles, dirent nettement : « c’est la faute à la religion. » Qu’est-ce qui avait fourni des recrues en nombre aussi extraordinaire aux armées de Fairfax et de Cromwell? Le fanatisme religieux. Sur quels principes tous ces gens de rien, guidés par des gens de peu, tailleurs presbytériens, merciers anabaptistes, cordonniers niveleurs, s’étaient-ils appuyés pour se révolter contre l’autorité suprême de l’état? Sur celui que leur fournissait leur religion : qu’ils ne relevaient que de leur conscience, et qu’ils n’étaient réellement sujets que de Dieu. Et la révolte une fois commencée, où avaient-ils trouvé l’énergie nécessaire pour la soutenir, sinon dans l’ardeur malfaisante nommée fanatisme que leur avait prêtée la religion ? Et sur quel droit s’étaient-ils appuyés pour juger l’autorité qu’ils avaient vaincue et commettre le crime de régicide ? Encore sur le droit qu’ils avaient tiré des mille exemples détestables que leur présentaient les livres saints. La religion, voilà la racine du mal, l’ennemie de tout bon ordre civil, car elle fait pis que ce que nous venons de dire : elle donne à l’homme des prétextes sacrés de satisfaire cet instinct sanguinaire qui le porte à se précipiter sur l’homme, instinct que toutes les lois civiles ont été inventées pour réprimer; elle prête aux plus méchans de beaux noms pour couvrir les pires convoitises et les pires ambitions. Et le mal est sans remède, puisque la religion crée un pouvoir en dehors du pouvoir politique, un pouvoir dont l’action indépendante peut toujours se retourner contre l’état. La révolution d’Angleterre a montré que la religion peut être un principe inéluctable de désordre, et si l’on y regarde de plus près encore, on verra qu’elle peut être une cause permanente d’anarchie, à moins qu’on ne cesse de la regarder comme la source d’un pouvoir particulier, que, lui niant toute indépendance, on ne l’absorbe dans le pouvoir civil, et que le sujet ne soit pas plus juge des doctrines de la religion qu’il pratique qu’il n’est juge des lois civiles qu’il subit.

Ces idées furent celles d’une bonne partie des cavaliers pendant les guerres civiles et au sortir des guerres civiles, et le vigoureux esprit