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qui faisait partie de l’armée du roi Charles II en Écosse. Le lendemain, ce parent arriva chez le père de sir Christophe et apporta la nouvelle du combat de Worcester. Sir Roger l’Estrange, le pamphlétaire royaliste bien connu, rêva qu’à une certaine place qu’il affectionnait dans son parc il voyait un de ses domestiques venir à lui pour lui annoncer que son père s’était subitement trouvé très mal. Le lendemain, à cette même place, qu’en souvenir de son rêve il avait voulu éviter, mais où l’entraînement d’une certaine chasse le conduisit malgré lui, il vit arriver ce même domestique pour lui porter la lugubre nouvelle. Edmond Halley, l’astronome, avant de faire le voyage de Saint-Hélène, rêva qu’il était en mer et qu’il découvrait l’île de son vaisseau ; quand il la vit en réalité, il se trouva que l’aspect en était le même que dans son rêve. William Penn, propriétaire en Amérique, a raconté à Aubrey que la femme de l’amiral Dean avait vu en rêve son mari commander un combat naval où un boulet de canon lui enfonçait le bras droit dans le côté ; quarante-huit heures après, elle reçut la nouvelle d’un combat où son mari avait été tué de la manière prédite. James Harrington, le républicain utopiste, l’auteur d’Oceana, a dit à Aubrey que le comte de Denbigh lui avait affirmé que pendant qu’il était ambassadeur à Venise, un magicien lui avait fait voir dans une glace les choses passées et futures. John Evelyn, l’auteur du si curieux journal du règne de Charles II, a montré à ses collègues de la société royale l’attestation écrite et signée par un certain vicaire de Deptford de la merveilleuse guérison que voici : comme ce vicaire était au lit, malade d’un rhumatisme, il avait eu la vision d’un maître ès-arts, sa verge blanche à la main, qui lui avait promis guérison s’il restait couché sur le dos trois heures de suite ; il obéit et redevint ingambe. Lilly n’était pas seulement très fort en astrologie judiciaire, il était encore assez versé dans la connaissance du monde occulte pour en reconnaître les habitans à première hallucination. En 1670, étant à Cirencester, il eut la chance d’être témoin d’une apparition à laquelle il fut demandé si elle appartenait aux bons ou aux mauvais esprits : « Elle ne rendit pas de réponse, dit Aubrey, mais disparut avec un singulier parfum et un bruit très harmonieux. M. Lilly croit que c’était une fée. » Nous ne citons que des noms de lettrés, mais si nous abordions le monde de l’église et celui de l’aristocratie, nous trouverions bien d’autres histoires, plus merveilleuses, plus terribles, moins significatives cependant, en ce sens qu’elles indiquent moins bien que ces crédulités de lettrés l’étiage de la superstition générale. Les plus curieuses à tous les points de vue sont celles des personnes qui se voient en double ou qui voient en double les personnes présentes. Une des plus grandes dames de