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« Mars, hur, abursa, aburse— Jésus-Christ, pour l’amour de Marie, délivrez-moi de ce mal de dents. » Écrivez ces mots trois fois sur trois papiers séparés, et à mesure qu’il lira les mots, le malade devra brûler un des papiers, puis le second, puis le troisième. M. Ashmole dit qu’il en a vu faire l’expérience, et que le malade a été immédiatement guéri. »

Anthony Wood, l’historien des antiquités d’Oxford, le biographe de ses dignitaires et des hommes illustres sortis de ses collèges, était l’ennemi de John Aubrey, et nous l’avons vu s’exprimer avec le plus profond mépris sur sa crédulité ; cependant son érudition à lui-même n’était pas si bien armée de critique qu’elle le préservât de choir dans les mêmes trous que son inoffensive victime, et d’admettre comme authentiques des histoires passablement saugrenues. En voici une, entre autres, qui prouve que les spectres ont parfois des idées amusantes et touchant même au grotesque. Un certain Henri Jacob, fellow d’Oxford, apparut, huit jours après sa mort, à un sien cousin, médecin à Cantorbéry, qui portait le même nom que lui. Le revenant était en chemise, un bonnet blanc sur la tête, et les moustaches retroussées en croc. Un accoutrement véritablement ludicrous, non moins qu’indecorous, pour un spectre qui aurait dû avoir quelque souci de son ancienne dignité de fellow universitaire et de la nouvelle dignité que lui avait fait la mort. Le médecin n’eut cependant pas la moindre envie de rire, mais il se pinça pour être bien sûr qu’il était éveillé, puis il se tourna sur le flanc pour éviter la vue du spectre. Ayant repris courage après quelques minutes, il se retourna : l’apparition était toujours là et ne s’évanouit qu’une demi-heure plus tard. Elle ne quitta pas la maison pour cela. Une servante ayant besoin de bois pour sa cuisine la trouva, toujours en chemise et en bonnet blanc, perchée sur une pile de bûches. Aubrey prétend qu’Anthony Wood lui est redevable de cette belle histoire, mais le grincheux antiquaire affirme qu’il la tenait du docteur Jacob même ; toujours est-il qu’il l’a acceptée sans le moindre sourire, et gravement insérée dans les Athenœ oxonienses.

Nous ne pouvons accorder un paragraphe à chacun des illustres superstitieux dont nous trouvons les noms dans le livre d’Aubrey, ou que notre propre mémoire nous rappelle, et force nous est de nous borner à une sorte de dénombrement homérique, qui, peut-être, ne sera ni sans intérêt ni sans instruction. C’est un plaisir comparable à celui qu’on éprouverait à voir passer d’une lucarne toute l’élite d’une société. Sir Christophe Wren, l’admirable architecte de Saint-Paul, véritable homme de génie, rêva, en 1651, qu’il voyait un combat, et, parmi les fuyards, il reconnut un de ses parens,