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que le duc ne tient pas son opinion pour si absolue qu’il n’admette bien qu’il peut y avoir d’autres sorcières que des sorcières par imagination. C’est exactement la réserve qu’à peu près à la même époque faisait Malebranche dans la partie de sa Recherche de la vérité où il traite des erreurs d’imagination ; mais sa qualité de religieux oratorien suffit pour expliquer le scrupule de Malebranche à rejeter l’existence de toute sorcellerie, tandis que le duc et la duchesse de Newcastle n’avaient à ressentir aucun scrupule de ce genre. Qu’avaient-ils donc à craindre ? rien, si ce n’est la tyrannie de l’opinion établie et l’accusation d’irrévérence envers les pouvoirs publics ; et c’est ce que la duchesse fait immédiatement sentir en disant que son mari considère comme inoffensif de penser comme il lui plaît sur les matières indifférentes, mais que, pour tout ce qui regarde les institutions fondamentales de l’église et de l’état, il en est un si ferme adhérent, que jamais il ne maintiendra ou défendra des opinions qui pourront leur être préjudiciables. Comprenez-vous combien devait être forte et générale une superstition qui obligeait un duc de Newcastle, libre esprit véritable et chef des cavaliers, dont un grand nombre pensaient comme lui, ex-gouverneur du prince de Galles, devenu Charles II, à mettre une telle sourdine à ses opinions ? Voilà aussi, ce me semble, qui peut aider à expliquer le crime innocent de sir Thomas Browne et les innombrables victimes de l’accusation de sorcellerie.

Parmi les amis d’Aubrey, il y en avait un qui lui était plus particulièrement cher, et cela à juste titre, car il semblait avoir été fait à sa propre image. Cet ami du cœur s’appelait Elias Ashmole. Pas plus qu’Aubrey, ce n’était le premier venu, quoiqu’il fût crédule à l’excès, et, comme son ami, il a rendu aux lettres de son pays de signalés services. D’abord solicitor à la cour de la chancellerie, ses goûts d’antiquaire le détournèrent de la pratique des lois et l’aidèrent à se faire nommer héraut de Windsor. Il écrivit, en cette qualité, une histoire de l’ordre de la Jarretière ; mais ce n’étaient pas seulement les antiquités qui l’attiraient, il était ardent collectionneur des choses les plus diverses, et une assez grosse fortune lui permettait de satisfaire ses goûts à cet égard. Il acheta la collection de curiosités naturelles assemblées par les Tradescants, une sorte de famille de La Quintinie anglaise, qui, depuis trois générations, étaient jardiniers de la couronne. C’est cette collection, léguée par lui à l’université d’Oxford, qui a été le fondement de l’Ashmolean Museum. Cependant cet homme, qui a si bien mérité de la science, croyait à l’alchimie, à l’astrologie judiciaire, qu’il pratiquait avec son ami Lilly, à la médecine magique, surtout aux charmes écrits ou récités comme moyens de guérison. En voici un, comme specimen, que son ami Aubrey a copié dans un de ses manuscrits :