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bien de l’embarras pour une côtelette, dira-t-on ; non pas ; en telle matière, qui ne relève que de la conscience, les minuties même les plus puériles sont respectables, car elles attestent la sincérité des croyances. Toute religion s’est appropriée des notions hygiéniques et les a, jusqu’à un certain point, introduites dans ses dogmes, afin de les rendre obligatoires. Le judaïsme n’a point échappé à cette loi générale. Sorti d’Egypte, campé dans le désert, destiné à vivre en Palestine, il a formulé certaines prescriptions indispensables dans un pays brûlant, inutiles dans un climat tempéré, mais que les israélites observent rigoureusement, qu’ils soient à Jérusalem, à Moscou, à Tunis ou à Paris. Or, parmi ces prescriptions souvent répétées dans l’Ancien-Testament, commentées, développées par le Talmud, celles qui concernent le choix des animaux alimentaires et la façon de les convertir en nourriture, sont péremptoires ; nul ne peut s’y soustraire sans pécher.

Il est dit au Deutéronome : « Vous ne mangerez d’aucune bête morte ; .. — tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère ; .. — tiens fort à ne point manger du sang, car le sang c’est l’âme, et tu ne mangeras point l’âme avec la chair. » C’est Dieu qui parle ainsi à Moïse, et c’est pourquoi toute nourriture ou, pour mieux dire, toute cuisine chrétienne, est en abomination aux israélites. Nous mangeons des animaux abattus ; le juif ne peut, ne doit manger que des animaux égorgés ; aussi la communauté a-t-elle des boucheries spéciales où l’on n’accepte que la viande marquée du sceau du schohet, qui est le sacrificateur. Celui-ci n’est pas seulement chargé de se conformer aux rites en mettant à mort les bœufs et les moutons, il doit vérifier si l’animal est casher (droit) ou treipha (lacéré). Toute blessure, toute fracture, fût-ce celle d’une vertèbre caudale, toute trace de maladie ancienne ou récente, constituent une impureté qui exclut l’animal de l’alimentation juive. Il ne peut en être autrement, car tout animal tué de la sorte est sacrifié, c’est-à-dire mentalement offert à Dieu, auquel on ne doit faire que des oblations irréprochables. Donc, l’israélite obligé de ne se nourrir que de viande casher se laissait réduire aux extrémités dernières plutôt que de demander asile aux hôpitaux où la viande treipha n’inspire et ne peut inspirer aucune répugnance, car les usages orientaux, imposés au judaïsme et à l’islamisme pour combattre la rapide décomposition d’une chair qui ne serait point exsangue, sont ignorés dans nos pays. Éviter à l’homme croyant d’être contraint par la nécessité de se mettre en contradiction avec sa foi est un devoir pour ceux qui ont charge d’âmes ; le comité consistorial le savait bien ; aussi, dès qu’il eut quelque liberté d’action et qu’il fut sorti de la géhenne où le peuple d’Israël gémissait depuis dix-huit siècles, s’empressa-t-il de chercher le moyen de