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lit, plongé dans de mélancoliques réflexions sur le peu de chances que ce luxe de précautions lui laissait de s’échapper, son ami Bocconi lui apparut tout à coup, lui dit qu’il était mort et qu’il venait l’avertir que sous trois jours il pourrait s’évader, ce qui arriva en effet. Puis, quand le spectre eut délivré son message, il fit une gambade et s’évanouit en prononçant deux très mauvais vers, qui faisaient allusion aux événemens d’alors, et peuvent se traduire à peu près ainsi :


Givenni, givanni, il est bien surprenant
Dans le monde de voir si soudain changement.


En érudit consciencieux, sir William Dugdale citait ses autorités. Il tenait l’apparition de sir George Villiers du beau-père de sir Edmond Wyndam, et l’histoire de lord Middleton de l’évêque d’Edimbourg, et devant d’aussi honorables témoignages, il ne songe pas à douter. C’est exactement le même genre de confiance au témoignage d’autrui que l’on rencontre perpétuellement dans les historiens du moyen âge, dans Guillaume de Malmesbury, par exemple, pour ne citer que celui-là. « Je tiens d’un homme digne de toute foi, » dit-il toutes les dix pages, et là-dessus il se met à raconter quelque superbe conte à dormir debout, qu’il a eu raison de rapporter, puisque huit cents ans après lui un Mérimée, un Heine, un Tieck en ont tiré des partis merveilleux.

Cependant, les habitudes de l’érudit le disposent, s’il n’y prend garde, à bien des superstitions, et l’on peut rejeter, si l’on veut, sur ces habitudes, la crédulité de sir William Dugdale. Voici quelque chose de beaucoup plus singulier. Thomas Hobbes, le libre penseur par excellence, l’homme qui, par haine et terreur du fanatisme religieux, avait philosophiquement établi la légitimité du despotisme, ne savait trop ce qu’il devait croire relativement aux sorcières, et se montrait tout disposé à être reconnaissant envers celui qui pourrait lui donner de ce fait une explication tant soit peu rationnelle. C’est ce qui ressort très positivement d’une conversation entre le philosophe et le duc de Newcastle, que rapporte, dans son intéressante biographie de son mari, l’excentrique duchesse Marguerite. Selon elle, le duc aurait tiré de peine le philosophe en lui développant une opinion qui est, en effet, des plus remarquables, et que l’on peut lire dans le Leviathan, où Hobbes l’a transportée sous forme succincte et sans lui donner les développemens qu’elle mérite. Fait bien curieux aussi, et qui montre à quel point la superstition était tyrannique et souffrait peu qu’on la discutât, à peine la duchesse a-t-elle rapporté cette opinion, qu’elle est saisie de peur d’en avoir trop dit. Elle se hâte d’ajouter