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départ, — le souverain turc s’est définitivement refusé à ratifier un traité qui ne faisait que consacrer, sous une forme plus ou moins voilée, le protectorat britannique sur le Nil. Le sultan n’a point été probablement insensible aux protestations du sentiment religieux musulman contre une sorte d’abdication de la souveraineté du commandeur des croyans ; il a vraisemblablement aussi tenu compte des représentations de la Russie et de la France, qui n’ont point hésité à mettre leur influence au service d’un intérêt universel. Bref, au risque de causer un déplaisir à sir Henry Drummond-Wolf en le laissant partir avec un portefeuille vide, le sultan s’est défendu de ratifier la convention !

Au premier instant, l’Angleterre a paru partagée entre deux sentimens. Elle s’est demandé si elle allait laisser éclater son irritation ou si elle devait prendre philosophiquement son parti. Après quelques mouvemens de mauvaise humeur contre la France, elle semble avoir fini par comprendre qu’elle n’aurait aucun avantage à trop s’émouvoir du mauvais sort de la convention, qu’il valait mieux se défendre d’un excès de susceptibilité. Elle a l’air d’être aujourd’hui plus disposée à se calmer et à raisonner. Elle reste provisoirement en Égypte, bien entendu, dans les conditions où elle y était, — elle persiste en même temps à se déclarer engagée vis-à-vis de l’Europe. C’est bon pour aujourd’hui : que fera-t-elle demain ? Renouera-t-elle des négociations avec le sultan pour arriver à conclure une nouvelle convention ? Cherchera-t-elle à préparer une solution par une entente avec les grands cabinets européens ? C’est là maintenant la question à reprendre. L’Angleterre ne trouverait vraisemblablement que de la bonne volonté auprès des puissances qui ont pu et dû sauvegarder leurs intérêts, qui ne peuvent admettre la création d’une prépotence exclusive sur le Nil, mais qui n’ont sûrement pas la pensée de susciter des conflits. Si l’Angleterre se décidait à quelque tentative nouvelle de ce genre, ce serait sans doute ce qu’il y aurait de mieux. En attendant, elle reste avec un petit mécompte, avec sa convention désavouée par le sultan, et lord Salisbury serait peut-être embarrassé si le parlement, avant de se séparer, engageait une discussion sérieuse sur l’échec de sa diplomatie, sur la politique qu’il se propose de suivre en Égypte.

La discussion serait au moins délicate dans un moment où le ministère qui gouverne l’Angleterre ne cesse d’être aux prises avec cette terrible question irlandaise qui peut le dévorer, et est réduit à tout ménager, à manœuvrer péniblement entre les partis. C’est là, en effet, le danger pour le ministère de lord Salisbury, qui reste visiblement dans des conditions précaires. Le cabinet conservateur, il est vrai, a réussi plus ou moins jusqu’ici à passer à travers les écueils et à réaliser une partie de son programme de politique irlandaise. Il a dû se prêter à quelques concessions dans la discussion du nouveau bill