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très agréables journées dans une maison n où à trois heures on est réveillé par les cochons qu’on mène au pâturage. » Elle admire dans ses promenades des étangs de truites et des cascades naturelles, elle cause en hongrois avec les paysans et achète des cerises.

Un mois auparavant, elle écrivait de Bude : « Vendredi, nous eûmes la bénédiction des drapeaux du Torontaler Comitat… Nous étions sous une tente ; il y avait un terrible courant d’air. Après la messe, que dit le primat, eut lieu la cérémonie. Nous mîmes chacun un cloud… Nous trouvâmes ce temps mortel ; carde vingt personnes que nous sommes à table, dix-huit avaient l’estomac dérangé à la suite d’une crémonade que nous avions bue au souper précédent ; vous jugez comme c’était agréable. En revenant, maman se fit porter la traîne par le laquais, ce que voyant, Alvinzi, plein de bonne volonté, se précipite, prend la traîne par les plis, tire la robe et lui soulève les jupons jusqu’au gras de la jambe. Maman répétait toujours : « Mais que faites-vous donc, Alvinzi ? — Je ne fais que mon devoir ! » fut la réponse. Vous pensez comme nous nous en amusions ; il n’était pas possible de ne pas rire. » A Erlau, autre incident plus plaisant encore. Après avoir raconté en trois lignes à la comtesse Colloredo que les Français ont pillé Bockfliess, brûlé Schweinbarth et Bisamberg, après avoir déclaré « qu’elle trouve cela une vraie guerre à la manière des Huns, » elle passe brusquement à autre chose : « Maman et mon oncle sont allés promener dans le petit jardin, au clair de la lune. De la fenêtre où nous étions, nous les voyons tout à coup disparaître au bord d’une colline ; nous y courons, et que voyons-nous ? L’archiduc et maman étendus sur le nez, qui n’avaient pas vu la colline et étaient roulés sur le gazon… Il a fallu chercher les souliers de maman, qui avaient volé par-dessus sa tête. Cette aventure, de même que la suivante, nous a bien fait rire. Je veux entrer dans le salon, m’embarrasse dans ma robe, et, au lieu de saluer toute la compagnie, je me trouve sur mes genoux. » Elle ajoute : « J’ai le bonheur de ne jamais me faire bien mal. » Elle l’a bien prouvé. Précipitée du trône de France par une effroyable tempête, elle s’est trouvée assise sur le petit trône de Parme : elle n’avait pas une contusion, pas la moindre égratignure.

Les éditeurs de sa correspondance intime qualifient d’acte héroïque le sacrifice que cette fille des Habsbourg fit à son père et à l’Autriche en épousant un Bonaparte. Pour être un héros ou une héroïne, la première condition est d’avoir la faculté de souffrir ; du caractère dont elle était, Marie-Louise devait mourir sans avoir connu les grands dégoûts, les chagrins qui rongent. Sans doute, on l’avait élevée dans la haine de l’usurpateur, de l’ennemi de sa maison ; elle le traitait de Corsicain et même d’Antéchrist, et elle déclarait en 1809 « que de voir cette personne lui serait un supplice pire que tous les martyres. » Mais, puisqu’il le fallait, elle prit son parti, elle se résigna. Dans une lettre