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« Rapport sur le paiement de l’indemnité de guerre et les opérations financières qui en ont été la conséquence, » par M. Léon Say, travail excellent, qui a la double importance d’un document historique et d’une démonstration lumineuse sur le mécanisme du change. La France avait à effectuer le plus monstrueux paiement dont ait jamais parlé l’histoire financière : 5 milliards, plus 325 millions pour les intérêts, à verser en espèces ! On eût vidé jusqu’aux derniers les coffres et les porte-monnaie qu’on serait resté bien au-dessous d’une pareille somme. Eh bien ! le paiement que M. de Bismarck lui-même jugeait invraisemblable, ce paiement a été réalisé par les voies ordinaires du commerce et de la banque sans effort douloureux, sans que la richesse métallique de notre pays fût notablement amoindrie. Avec le concours des grandes maisons de banque d’Europe et d’Amérique, groupées au nombre de cinquante-cinq, fort bien dirigées d’ailleurs par les influences qui partaient de Paris, on acheta sur toutes les places des lettres de change dont on couvrait les détenteurs avec les titres des emprunts français. Ces lettres de change, c’est-à-dire ces créances réalisables à court terme, étaient transmises à l’Allemagne, qui les accepta comme monnaie à un cours convenu. La France se libéra ainsi avant terme, en livrant à ses vainqueurs des thalers, des marks banco, des sterling, des francs belges, des florins, des dollars. Et combien d’espèces métalliques sorties effectivement de notre banque et des caisses françaises ? 273,003,058 francs en napoléons, 239,291,875 francs en pièces d’argent de frappe française.

Recueillir l’or de tous côtés, le faire affluer à jour dit sur un point déterminé, c’est le secret des banquiers ; en ces derniers temps, de gros emprunts réalisables en or, ceux de l’Italie et de l’Autriche-Hongrie, ont été remplis sans difficulté. Il en est de même pour les grandes opérations du commerce extérieur. On a prétendu que la déchéance du métal blanc, réduisant d’autant le fonds employé aux achats, avait pour effets la baisse des prix et la langueur universelle des affaires. C’est raisonner comme si toutes les importations se réglaient par des contre-valeurs en espèces. Qui ne sait, depuis J.-B. Say, que les produits se paient avec des produits ? On négociant de Marseille ou du Havre achète pour des millions dans le Nouveau-Monde ou dans l’extrême Orient ; il paie avec des acceptations sur quelque puissante maison de Paris, de Londres ou de Berlin, à qui il remet en compte courant ses propres valeurs ; le vendeur escompte les traites auprès d’un banquier de son pays, et celui-ci renvoie les effets en Europe, où l’affaire se -règle quelquefois sans mouvement d’espèces et par simple compensation. Mais, dit-on encore, l’avilissement de l’argent se traduit par une réduction du capital et amoindrit la puissance d’achat dont