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travail suspendu ne fournissait plus de ressources, et pour obtenir de l’Europe les objets indispensables, il fallait y envoyer des espèces métalliques recueillies à des prix désastreux ; la monnaie avait disparu. Le crédit suffisait à tout ; on en fit un usage héroïque. De 324 millions de francs, portant un intérêt d’environ 16 millions en 1860, la dette nationale s’était élevée, à la fin de 1866, à plus de là milliards de francs, auxquels s’ajoutaient les dettes particulières contractées par les divers états, et dont l’ensemble formait une surcharge de plusieurs milliards. Il fallait un peuple vigoureux comme est celui des États-Unis pour se tenir ferme et debout sous un pareil fardeau. Ce peuple est rompu depuis longtemps à la pratique des papiers fiduciaires ; il les préfère en quelque sorte au métal quand il les croit suffisamment préservés ; il en fit usage avec autant d’habileté que d’audace. On créa d’abord des rentes d’état à gros intérêts, dont la dénomination (5-20, 10-40) limite la durée, en stipulant que la dette pourrait être remboursée, au gré de l’état, après cinq ans, après dix ans, mais qu’elle ne sera pas prolongée au-delà de vingt, de quarante ans. La jeune Union américaine faisait savoir par là qu’elle avait foi dans une libération prochaine, et qu’elle n’entendait pas se charger d’une dette perpétuelle, comme les pays du vieux monde. Il fallait en outre un instrument de circulation approprié à l’étendue du marché et à l’immensité des besoins. On lança des obligations sous le titre de Notes legal tender, appelées vulgairement greenbacks (dos verts), émises au montant de 1,800 millions de francs par coupures de 5 francs à 50,000 francs, papier privilégié sans échéance de remboursement, mais expressément remboursable en or, dès que la libération serait devenue possible ; ayant d’ailleurs cours forcé en tous paiemens, à l’exception des droits de douane payables à l’état en or et de la dette publique que l’état doit à son tour solder en or à ses créanciers. Ce n’est pas tout. Les banques des États-Unis tiennent une trop grande place dans l’organisme national pour qu’on eût négligé d’utiliser leur puissance. On attribua le cours forcé aux billets émis par elles, mais on disciplina en même temps leur faculté de battre monnaie. Les banques dites nationales, dont le nombre dépassait 1,600 en 1866[1], sont celles qui opèrent sous la surveillance d’un haut fonctionnaire chargé de contrôler la circulation fiduciaire (Comp-troller of the currency). L’administration du contrôle (Currency Bureau) délivre les billets en blanc, contre-signés par son chef, aux banquiers qui en font la demande, mais elle n’en autorise

  1. En juin 1886, il y avait en exercice 2,819 banques nationales, sans compter les gold-banks, c’est-à-dire les banques de Californie, qui acquittaient leurs billets en or à présentation.