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Rupee, des pièces d’argent dont la valeur intrinsèque au rapport de 15 1/2 est 2 fr. 376 millimes, et dont on faisait compte dans les affaires courantes à raison de 10 roupies pour une livre sterling. On attribua à ces pièces d’une manière exclusive la force légale (legal tender) dans le paiement des dettes et des impôts. Toutefois, pour utiliser l’or qui était assez abondant, la compagnie autorisa la frappe d’une pièce appelée mohur, valant 15 roupies, mais qui circulait à l’état de marchandise, avec des primes plus ou moins fortes[1]. Ce régime ne fut pas admis sans réclamations de la part du public indigène ; on s’y résigna néanmoins, tant que la perte résultant de l’écart des deux métaux fut supportable. La compagnie daigna même, en 1841, accepter l’or dans ses transactions avec le public ; mais en 1852, l’Angleterre, craignant peut-être que l’or australien fût déversé en Asie, interdit la frappe du mohur, et proclama que cette monnaie ne serait plus reçue dans le paiement des impôts. L’or proscrit perdit de son utilité et disparut peu à peu de la circulation. L’argent, au contraire, y entra à flots. Qu’on imagine l’exportateur anglais envoyant par grandes masses dans l’Amérique latine ses tissus, ses fers, ses charbons, et rapportant dans l’Inde ; avec de gros profits sur les changes, les barres d’argent qu’il a reçues en paiement ! Quel entraînement commercial, quel torrent de métaux qui se convertissent en richesses 1 Déjà en 1857, le judicieux Thomas Tooke évaluait à 400 millions sterling (10 milliards de francs) le stock d’argent disséminé dans la région indienne. Il serait difficile d’établir avec une suffisante précision ce que le va-et-vient des métaux précieux entre l’Europe et l’Asie, depuis 1857, a laissé d’argent dans les Indes britanniques. Les expéditions des dix dernières années seulement (1876-1885) se sont élevées à 1,683 millions, dont un tiers pour la Chine ; il n’y aurait donc pas d’invraisemblance à admettre aujourd’hui une existence d’environ 12 milliards de francs, au rapport nominal de 15 1/2. Il faut remarquer que ce stock n’est pas totalement monnayé ; une forte partie est disséminée dans l’immense empire sous forme de bijoux et d’ornemens mobiliers : faut-il voir là un indice de vanité enfantine, d’un goût inné pour la bijouterie et le clinquant ? Non, c’est plutôt un acte de prévoyance, une sorte de placement en usage dans les pays où les économies n’ont pas un emploi facile et assuré : chacun porte sa caisse d’épargne avec soi ; dans les jours de crise, on transforme ses bijoux en monnaie. A la suite des mauvaises récoltes de 1877 à 1880, on a apporté à l’un des trois hôtels de monnaies

  1. Le mohur n’est qu’un jeton frappé par l’état pour compte des particuliers, moyennant un droit de 1 pour 100. Son rapport à l’argent est dans la proportion de 1 à 15, de sorte que l’or, mésestimé en Asie, devait refluer en Angleterre.