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Aubrey attribue ces vers à ce George Buchanan qui, par patriotisme, paya si résolument d’ingratitude l’admiration que Marie Stuart avait pour son savoir. Or George Buchanan avait cessé de vivre plus de vingt ans avant l’accession de Jacques au trône d’Angleterre, plus de quarante-trois ans avant la mort de ce roi; voilà qui s’appelle voir les choses de loin. Comme il est évident que ces vers ne peuvent pas être de lui, à moins d’admettre que sa haine pour les Stuarts avait ajouté à ses autres talens le don de prophétie, ou qu’en sa qualité d’Écossais il avait la seconde vue, Aubrey émet l’opinion que dans ces vers il n’y a de Buchanan que la forme, et que la substance lui en a été fournie par quelque voyant calédonien.

Après l’avènement de Charles Ier, les pronostics continuèrent, mais avec cette différence qu’ils ne sont plus vaguement menaçans ou lointainement prophétiques, comme sous le règne de son père, mais pressans, instans, à brève échéance, montrant pour ainsi dire la main qui va frapper et la tête qui va tomber. Trois mois avant la mort du duc de Buckingham, un certain M. Towes reçut en plein jour et en plein état de veille la visite du spectre de son défunt maître, sir George Villiers, père du duc. « Je ne puis reposer dans ma tombe, dit ce moral spectre, à cause de la conduite de mon fils, et je vous prie d’aller de ma part l’exhorter à sortir du mauvais sentier où il est engagé, sans quoi il finira mal[1]. » Lorsque ce message d’outre-tombe lui fut transmis, le duc de Buckingham rit à chaudes larmes ; mais trois mois après il expirait sous le poignard de Felton, sans avoir même le temps de se repentir de son incrédulité. L’avertissement sinistre que le vieux voyant d’Ecosse avait donné si longtemps auparavant au futur Charles Ier se renouvela aussi sous des formes variées, dont une est faite plus particulièrement pour nous toucher, car ce sont de grands artistes et d’inoubliables œuvres d’art qui sont cette fois les prophètes de malheur. « Comme le buste de Charles Ier, œuvre de Bernin, était transporté à Londres par la Tamise, un oiseau étrange, dont les bateliers n’avaient jamais vu le pareil, laissa tomber une goutte de sang ou de quelque chose semblable à du sang qui fit sur le marbre une tache qu’on ne put effacer. Ce buste avait été sculpté d’après un dessin d’Antoine Van Dyck, et le sculpteur avait trouvé le front défectueux, comme portant des signes d’extrême malheur. Le front était en effet partagé par une ligne allant de haut en bas, ce qui est un très mauvais

  1. Cette anecdote est rapportée par Clarendon. Aubrey la tenait directement des personnes, qui prétendaient avoir été les témoins on les premiers informés de l’apparition.