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et il est probable que la pluie et la mer en nous mouillant nous ont préservés de cette horrible calamité. »

Ces lignes, extraites du journal du capitaine Bligh[1], sont la première mention qui ait été faite de cet archipel.

Querelleurs et traîtres, les indigènes qui l’habitent ne semblent cependant pas avoir été anthropophages ; leurs coutumes et leurs mœurs diffèrent d’ailleurs de celles des autres Canaques de la Malaisie. Ils vivent en clans, construisent leurs cabanes dans de vastes clairières, au centre desquelles s’élève une construction plus importante. Le gamal, — c’est ainsi qu’ils la désignent, — est divisé à l’intérieur en compartimens séparés, non par des cloisons de nattes ou de bambous, mais simplement indiqués au moyen de bûches de palmiers plantées en terre. Chacun de ces compartimens comprend plusieurs lits de feuilles ; au mur sont suspendus des arcs, des flèches et des coupes en bois.

Quand les garçons ont atteint l’âge de douze ans, ils quittent la cabane paternelle pour aller s’établir au gamal, A partir de ce moment, ils sont libres et indépendans, pèchent, chassent et cultivent pour leur compte, jusqu’au jour où, prenant femmes, ils se construiront une cabane dans le village.

Chaque compartiment du gamal représente un degré différent dans l’échelle sociale ; on passe de l’un à l’autre après un certain laps de temps et le paiement d’une rétribution au chef, propriétaire de cette maison commune. Cette rétribution se fait au moyen d’une monnaie singulière.

Près du gamal se trouve une maison basse, entourée de barrières, hermétiquement close. Une porte étroite, curieusement travaillée et sculptée, donne accès dans l’intérieur. Que l’on se figure une cabane de forme triangulaire, au toit bas et aigu. De ce toit pendent une dizaine de nattes de deux pieds de longueur sur un pied et demi de largeur. Au-dessous de ces nattes fume nuit et jour un feu de bois soigneusement entretenu par un indigène. La fumée qui se dégage du foyer revêt d’abord ces nattes d’une brillante croûte noire, qui peu à peu s’étend de façon à prendre la forme de stalactites ou de mamelles, comme les appellent les indigènes.

Il importe pour cela que le foyer soit surveillé avec soin, afin d’éviter la combustion des nattes, qui se produirait si la flamme venait à monter, ou un temps d’arrêt dans la formation des stalactites, si le feu s’éteignait. C’est avec cette étrange monnaie que se paie la contribution du gamal. On ne peut ni la manier ni l’emporter, elle change de propriétaire sans changer de place, et constitue pour

  1. Voyage dans la Mer du Sud, 1702. Londres.