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philosophique du fondateur de l’éclectisme, M. Victor Cousin[1]. Nous aurions voulu pouvoir faire le même travail sur le fondateur du positivisme, M. Auguste Comte ; mais le temps nous fait défaut pour une aussi grande étude, et nous n’osons pas promettre de la pousser aussi loin et d’une manière aussi complète. A tout le moins essaierons-nous d’en donner quelques fragmens ; et, pour commencer, nous étudierons d’abord la genèse de cette philosophie, de quel milieu elle est sortie, à quelles traditions elle se rattache, comment et dans quelles circonstances elle a paru au grand jour. Nous aurons beaucoup à profiter dans le livre de Littré, intitulé : Auguste Comte (1863), qui est la source principale pour cette étude ; mais peut-être trouverons-nous aussi quelque chose à y ajouter.


I

Si l’on essayait de deviner a priori, d’après les explications précédentes, comment a pu naître la philosophie d’Auguste Comte, on serait tenté de croire que cette philosophie, à son origine, a dû se présenter à titre de réaction et de protestation contre la philosophie spiritualiste de Victor Cousin. L’histoire de la philosophie nous apprend que toute école nouvelle est toujours suscitée par un besoin de contradiction contre les écoles régnantes. Si l’on considère que la doctrine de Comte a paru en 1830, au moment de la plus grande fortune de Victor Cousin, qu’elle a éclaté et, on peut dire, triomphé après 1848 et 1850, à l’époque de la chute de l’éclectisme, on sera assez tenté de supposer a priori que cette philosophie nouvelle donne la réplique à l’autre, et qu’Auguste Comte est l’antithèse de Victor Cousin. Cependant, l’étude attentive des faits nous montre que les choses ne se sont pas passées ainsi. Sans aucun doute, le succès du positivisme a coïncidé avec l’affaiblissement du spiritualisme éclectique, et ce succès a été dû, en partie, à un besoin de révolte contre la philosophie antérieure ; mais, à l’origine, Auguste Comte ne paraît pas avoir rien en à voir avec la philosophie de Cousin. Il n’a subi aucune influence, aucune action de ce côté, même à titre d’adversaire. Il ne semble pas l’avoir connu. Tout au plus rencontre-t-on dans ses ouvrages quelques allusions très courtes aux idées de Jouffroy ; mais rien, absolument rien sur la philosophie éclectique. La sienne s’est développée parallèlement, sous d’autres influences, dans un autre milieu ; elle est sortie d’une autre origine. On pourrait croire aussi que la philosophie positive a été le retour, la revanche du sensualisme vaincu par l’école éclectique, qu’elle se rattache directement aux derniers représentans de

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 janvier, du 1er et du 15 février, et du 1er mars 1884.