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seul qu’on souffre persécution, il aurait suffi au Seigneur de dire : Beati qui persecutionem patiuntur ; il n’aurait pas ajouté : propter justiliam. Il peut donc arriver que celui qui souffre persécution soit méchant, et que celui qui la fait souffrir ne le soit pas. Celui qui tue et celui qui guérit coupent les chairs et sont des persécuteurs tous les deux ; mais l’un persécute la vie, l’autre la pourriture. Il ne faut pas considérer si l’on est forcé, mais à quoi l’on est forcé, si c’est au bien ou au mal. Personne sans doute ne peut devenir bon malgré soi, mais la crainte met fin à l’opiniâtreté, et en poussant à étudier la vérité amène à la découvrir. Quand les puissances temporelles attaquent la vérité, la terreur qu’elles causent est pour les forts une épreuve glorieuse, pour les faibles une dangereuse tentation. Mais, quand elle se déploie au profit de la vérité, elle est un avertissement utile pour ceux qui se trompent et s’égarent. »

En relisant ces paroles, qui ont été tant de fois citées, je ne puis me défendre d’une sorte d’émotion douloureuse : je songe aux terribles conséquences qu’on en a tirées ; je revois par la pensée toutes les victimes qu’elles ont faites. L’église se les est appropriées dès le Ve siècle, et en a fait la règle de sa conduite. Elles ont été appliquées sans pitié, pendant tout le moyen âge, et ont répandu des flots de sang. La réforme elle-même, qui changea tant de choses, ne renonça pas à les invoquer. Au XVIIe siècle, les assemblées du clergé s’appuyaient sur elles pour demander au roi, avec une obstination cruelle, de supprimer l’hérésie. Elles s’étaient tellement emparées de tous les esprits que personne alors ne réclama contre l’usage qu’on en faisait. Il ne manquait pas de gens sages, éclairés, qui, livrés à eux-mêmes, auraient blâmé les mesures rigoureuses qu’on prenait contre les protestans ; mais l’autorité de saint Augustin leur en cachait l’injustice. De Bruxelles, où il s’était réfugié pour éviter la Bastille, Arnauld écrivait à ses amis qu’il ne pouvait s’empêcher de trouver les moyens qu’on employait un peu violons. Mais saint Augustin avait parlé, était-il permis à un janséniste de le contredire ? Et il ajoutait qu’après tout à l’exemple des donatistes pouvait justifier ce qu’on faisait en France contre les huguenots[1]. »

Saint Augustin se félicitait des heureux résultats que l’église avait obtenus par le recours à la force ; il vécut assez pour en voir les inconvéniens. L’emploi des moyens violens est plein de dangers pour

  1. Le rapprochement que faisait Arnauld entre les huguenots et les donatistes frappait alors tout le monde. Bussy-Rabutin, à propos des traités de saint Augustin dont nous vecons de citer des fragmens, disait : « Il semble qu’ils soient faits exprès pour excuser le traitement qu’on fait aujourd’hui aux huguenots. »