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revenus, ils y restaient. « Il y en avait beaucoup, parmi ces nouveaux convertis, qui, loin de se plaindre, remerciaient ceux qui les avaient délivrés de leurs égaremens, et qui se félicitaient de la violence qu’on leur avait faite comme d’un des plus grands biens qui pût leur arriver. » N’était-ce pas un signe de la volonté de Dieu, et fallait-il s’opposer au salut de tant d’âmes qui ne demandaient qu’un prétexte et qu’une occasion pour revenir à la vérité ? — Ce qui est curieux, c’est qu’on se servit des mêmes moyens pour entraîner Louis XIV à révoquer l’édit de Nantes. On raconte qu’il hésitait à le faire et ne se jetait pas volontiers dans une entreprise dont il entrevoyait confusément les périls. Mais on lui ôta ses scrupules en lui montrant avec quelle facilité un peu de contrainte déterminait les protestans à se convertir. Ces grands seigneurs qui revenaient si vite à la religion du roi, ces villes entières qui, à la seule vue des dragons, se précipitaient dans les églises, lui firent croire que l’affaire irait toute seule, qu’un culte qu’on abandonnait si vite ne méritait pas les égards qu’on avait pour lui, et qu’enfin ces foules indifférentes n’attendaient qu’une manifestation de l’autorité royale pour faire ce qu’elle voudrait. Dans ces conditions, n’était-ce pas un crime d’hésiter ?

Il n’était pas dans le tempérament de saint Augustin de faire à demi ce qu’il se décidait à faire. Comme il avait le courage de ses opinions et de ses actes, une fois qu’il se fut résigné à demander à la force d’achever l’œuvre que la libre discussion avait commencée, il voulut donner ouvertement les motifs de sa conduite. Dans plusieurs de ses lettres, qui reçurent une grande publicité, il entreprit de prouver que l’église avait raison d’accepter l’appui du pouvoir temporel, et fit une sorte de théorie des persécutions légitimes. Voici quelques passages que je prends au hasard dans une de ces lettres et qui donneront l’idée de tout le système : « Tous ceux qui nous épargnent ne sont pas nos amis, ni tous ceux qui nous frappent nos ennemis. Il est dit que les blessures d’un ami sont meilleures que les baisers d’un ennemi. (Prov., 27, 6.) Celui qui lie un frénétique, celui qui secoue un léthargique les tourmente tous les deux, mais il les aime tous les deux. Qui peut plus nous aimer que Dieu ? et cependant il ne cesse de mêler à la douceur de ses instructions la terreur de ses menaces. Vous pensez que nul ne doit être forcé à la justice, et vous lisez pourtant, dans saint Luc, que le père de famille a dit à ses serviteurs : « Forcez d’entrer tous ceux que vous trouverez. » Ne savez-vous pas que parfois le voleur répand de l’herbe pour attirer le troupeau hors du bercail, et que parfois aussi le berger ramène avec le fouet les brebis errantes ? Si l’on était toujours digne de louange par cela