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III

Il nous reste une question importante à étudier : comment l’église a-t-elle accueilli redit de Milan ? Lui a-t-elle été tout d’abord favorable ou contraire ? Se trouvait-elle parmi ceux qui essayèrent d’en assurer l’exécution, ou ceux qui à la fin l’ont fort échouer ? et dans cet échec, qui fut un malheur pour l’empire, quelle part convient-il de lui assigner ?

Il est vraisemblable, je crois du moins l’avoir montré tout à l’heure, qu’elle ne l’a pas directement inspiré à Constantin, et qu’il est dû à l’initiative du prince. Mais il était conforme à l’esprit même du christianisme. C’est lui, on vient de le voir, qui protesta le premier contre la persécution religieuse, et il ne protesta pas pour lui seul. Je ne puis pas croire que, lorsqu’il demandait au culte officiel de respecter les autres cultes, il n’eût en vue que son intérêt propre et son danger présent. Rappelons-nous ces nobles paroles de Tertullien : « Il n’appartient pas à une religion de faire violence à une autre. » Cette phrase, dans sa généralité, s’applique à tous les cultes ; il n’y a pas moyen, quoiqu’on l’ait essayé, d’en restreindre la portée[1] ; c’est véritablement un principe que Tertullien proclame. On peut en vouloir à l’église d’être devenue plus tard l’ennemie acharnée de la tolérance, mais il ne faut pas oublier qu’elle l’a réclamée avant tout le monde.

À la vérité, elle était alors proscrite, persécutée, et ne se doutait guère qu’elle monterait un jour sur le trône. Tertullien regarde comme une vérité qui n’a pas besoin d’être démontrée que les

  1. M. Freppel assure que Tertullien n’admet pas la liberté des cultes « dans son sens absolu et illimité ; » ce qui est parfaitement juste. Il est clair qu’une religion ne peut pas avoir la liberté de tout faire, et que, par exemple, il lui est interdit de commettre des actes que la morale commune réprouve. C’est sans doute ce qu’entend Tertullien quand il dit aux païens qu’ils auraient le droit de proscrire le christianisme « s’il était un mal, » c’est-à-dire s’il se rendait coupable de ce genre particulier de fautes que la loi civile punit. Mais il ne m’est pas possible de croire que celui qui a dit en termes si exprès : « Que c’est un droit naturel pour tous d’adorer le Dieu auquel ils croient, » et « qu’une religion ne doit pas faire violence à une autre religion, n’ait pu admettre, avec M. Freppel, « qu’un prince ait le droit de protéger la conscience de ses sujets, même par la force, contre l’invasion d’une religion étrangère, » et « qu’il peut l’empêcher de pervertir les âmes par la parole et par l’exemple ; » ce qui veut dire que non-seulement il peut lui interdire de faire des prosélytes, mais même d’exister ; car enfin, pour empêcher le mauvais exempte que donne la vue d’une religion à ceux qui en pratiquent une autre, je ne vois pas d’autre moyen que de la supprimer. Ce que M. Freppel appelle « assurer la liberté des âmes menacées par l’oppression de l’erreur, » c’est proprement persécuter ; et Tertullien ne voulait pas qu’on persécutât. (Voyez Freppol, Tertullien, I, p. 45.)