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Sur le second objet des réclamations du roi de Prusse, l’attitude nettement hostile à prendre envers la Saxe, le ministère français se montra au premier moment mieux disposé, et le nouvel envoyé de France à Dresde, Vaulgrenant, reçut l’ordre de menacer Auguste III et son ministre favori, le comte de Brühl, de l’inimitié de la France, s’ils persistaient à appuyer l’Autriche dans ses tentatives agressives sur le territoire prussien. Seulement la menace arrivait un peu tard, quand tout un corps d’armée, parti de Saxe, figurait déjà dans les troupes autrichiennes en qualité d’auxiliaire, et que Marie-Thérèse avait eu l’art de s’attacher le roi et surtout la reine de Pologne par un nouveau traité qui complétait celui de Varsovie : une des stipulations de ce traité opérait un partage anticipé des provinces méridionales de Prusse, dont une part devait venir agrandir l’électorat saxon. L’appât de cette perspective de vengeance et de conquête était si puissant sur ce couple débile et haineux que même l’échec de Friedberg ne réussissait pas à l’en détacher. Il est vrai que Marie-Thérèse, veillant à préserver ses alliés de toute tentation de découragement, avait eu soin, le lendemain même de la-bataille perdue, d’envoyer à la reine, sa cousine, un messager porteur de ces paroles éloquentes par lesquelles elle excellait à remonter les courages : — « Quoique le mal ne soit pas petit, disait-elle, on l’a cru plus grand qu’il ne l’est, suivant la relation que je viens d’en recevoir, qui m’a appris, à ma grande satisfaction, la bravoure avec laquelle les troupes saxonnes se sont distinguées. La cause est trop juste pour ne pas se confier en Dieu qu’à la fin elle triomphera. Pour manifester sa toute-puissance, Dieu a jusqu’ici dirigé toutes les choses, en sorte que les événemens les plus heureux ont suivi les plus grands revers. »

Elle lui annonçait en même temps l’envoi de nouveaux renforts qui rendraient son armée, en quelques semaines, autant ou même plus forte qu’elle n’avait été en pénétrant dans la Silésie. Ce langage plein de confiance réussit si bien à la faire renaître que, quand Vaulgrenant vint s’acquitter de son message comminatoire, au lieu d’avoir affaire à des esprits troublés par la mauvaise fortune, il trouva dans le cabinet saxon la sécurité la plus complète. Le thème couramment adopté était que l’avantage remporté par le roi de Prusse était plus que médiocre et ne compromettait en rien l’avenir. Il eut beau grossir sa voix, il ne parvint pas à faire peur, ni même à se faire prendre au sérieux[1].

  1. D’Arneth, t. IV, p. 38, 40, 81, 82, 420. — D’Argenson à Vaulgrenant et Vaulgrenant à d’Argenson, juin 1745, passim. (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.) — Le traité par lequel Marie-Thérèse et Auguste III se partageaient d’avance les duchés méridionaux de la Prusse avait été signé à Leipzig le 18 mai 1745. Il venait donc à peine d’être ratifié au moment de la bataille de Friedberg. Ce document, qui resta alors inconnu, a reçu depuis lors une grande publicité dans une circonstance fameuse : il figure au nombre des pièces que Frédéric, envahissant la Saxe, au début de la guerre de sept ans, prit par colère dans les archives de Dresde, et fit connaître à toute l’Europe dans un mémoire où il résumait tous ses griefs contre la cour de Saxe. Un second traité du 23 août 1745 devait développer celui-là.