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l’impétuosité de mes passions dans des objets de cette importance, dont dépend le salut de l’état… » — Et, quelques jours après : — « Je vise toujours à la paix ; si nous pouvons l’avoir par les Anglais, ce sera la voie la plus courte pour sortir d’embarras… Demain, l’avant-garde marche à Königgrätz ; c’est là mon nec plus ultra. Ne croyez-pas que je ferai les sottises que les Autrichiens souhaitent de me voir faire. Je m’en garderai bien ; il ne s’agit, en attendant, que de voir ce que fera notre politique. Je crois que nous avons amolli le cœur endurci de Pharaon, et qu’à présent il sera plus souple et plus traitable. »

Mais, en même temps, il donnait ordre à Chambrier de reprendre, avec le ministère français, la conversation que la bataille de Fontenoy avait interrompue, et d’insister plus que jamais sur les exigences qu’il avait mises en avant et qui consistaient, comme je l’ai dit, dans ces trois points : octroi d’un subside pécuniaire pour subvenir à l’état épuisé de ses finances ; déclaration d’hostilité ouverte à la Saxe, si elle continuait à prendre parti contre la Prusse ; enfin, pour rendre cette déclaration sérieuse et suivie d’effet, marche résolue du prince de Conti en Allemagne. — « Nous allons voir ce qui en sera, disait-il en renouvelant ainsi ses demandes. Si le prince de Conti fait des sottises, la France sera la première à s’en repentir. J’attends l’événement pour en juger[1]. »

Sa résolution d’attendre et de voir venir fut pourtant mise à quelque épreuve ; car l’événement, pendant ces premières heures au moins, ne lui apporta, ni d’un côté ni de l’autre, la satisfaction qu’il attendait. D’une part, ni Fontenoy ni Friedberg n’avaient encore assez amolli le cœur du Pharaon britannique pour le disposer à entrer avec sincérité dans la voie des accommodemens. Le ministre anglais Harrington, qui accompagnait son roi sur le continent, était bien toujours au fond de l’âme disposé à ouvrir l’oreille aux bonnes paroles des envoyés de Frédéric ; mais, une fois qu’il avait touché le sol allemand, George oubliait complètement qu’il était roi d’Angleterre et passait sous le joug de son ministère hanovrien, dont le chef, le baron de Münnchausen (le même qui avait présidé à l’arrestation de Belle-Isle), était tout dévoué à la cause autrichienne. Marie-Thérèse, par son entremise, ne cessait d’entretenir sous main l’inimitié de l’oncle contre un neveu qu’il n’avait jamais aimé et dont la gloire, chaque jour croissante, ne faisait que l’irriter de plus en plus ; elle lui laissait même entrevoir qu’une

  1. Histoire de mon temps, chap. XIII. — Valori, Mémoires, t. I, p. 230. — Frédéric à Andrié, 18 juin ; à Podewils, 10-18 juin 1745. — Pol. Corr., t. IV, p. 189 à 190. — À Chambrier, 15 juin 1745. (Ministère des affaires étrangères.) — Droysen, t. II p. 504, 505.