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la chambre des comptes et toutes les cours souveraines, sollicitèrent l’autorisation d’envoyer des députés pour le complimenter, ce qui ne s’était jamais fait dans aucune circonstance pareille, et à un jour donné le camp fut envahi par une foule de magistrats, dont les grandes robes, mélangées avec les habits militaires, produisaient un effet inaccoutumé. Le roi les accueillit en cérémonie, assis sous une vaste tente, qui était un présent apporté, peu auparavant, par une ambassade turque, et dont les étoffes magnifiques rappelaient toutes les splendeurs de l’Orient. Dans les harangues qui lui furent adressées, l’admiration officielle dépassa toute mesure : — « Les conquêtes de Votre Majesté, disait l’un des orateurs, sont si rapides qu’il s’agit de ménager la croyance des descendans et d’adoucir la surprise du miracle. »

Louis dut être le premier à sourire de ce déluge d’adulations, car il avait le bon goût de ne s’attribuer à lui-même aucun mérite, comme l’atteste la lettre-circulaire qu’il adressa aux évêques pour demander le chant d’un Te Deum dans les églises, et où il reconnaissait que la victoire n’était due qu’au maréchal de Saxe et, après lui, à la maison du roi et aux carabiniers. Mais cette modestie même augmentait l’enthousiasme, et, malgré le ridicule excès de certaines démonstrations, le sentiment était sincère. Jamais événement national ne causa, dans tous les rangs de la population, une joie patriotique plus unanime[1].

Malheureusement, les émotions les plus généreuses demeurent rarement désintéressées, et on n’a pas plus tôt tourné un des feuillets de l’histoire qu’on voit reparaître les jalousies, les rivalités, les intrigues, toutes les faiblesses, en un mot, dont aucune réunion d’hommes n’est longtemps exempte, et une cour moins que toute autre. Le premier qui eut à souffrir de cette réaction inévitable, ce fut l’illustre Voltaire, qui, dans son empressement à prendre part tout haut à l’expression de la joie commune, courut au-devant de sérieux désagrémens. Son nouveau métier d’historiographe ne lui faisait pas oublier le culte dû à la muse de sa jeunesse : avant de raconter la victoire (comme il devait le faire plus tard avec une précision et un charme qui désespèrent ceux qui ont à en parler après lui), il se mit en devoir de la chanter ; il improvisa, en moins de cinq jours, la pièce qui figure encore dans ses œuvres sous le nom de Poème de Fontenoy. Malheureusement, il n’y a guère que Pindare à qui la poésie de commande ait jamais fourni d’heureuses inspirations, et encore le lyrique grec ne s’en est-il tiré qu’en en prenant à son aise avec le sujet qu’il devait traiter. Mais Pindare

  1. Journal de Barbier, mai 1745.