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Ils s’étonnent aujourd’hui de la popularité qui est « venue trop vite » à M. le général Boulanger et qui l’a grisé. Ils ont toute sorte d’explications embarrassées. La vérité est que, pour le moment, ils ne savent plus trop où ils en sont, et dans cette interpellation si singulièrement, si maladroitement engagée au lendemain des scènes de la gare de Lyon, ils n’ont réussi qu’à être aussi gauches que violens. Ils ont laissé tous les avantages à M. le président du conseil, qui a su en profiter, dans cette affaire de M. le général Boulanger comme dans tout le reste. En réalité, que demandaient-ils au chef du cabinet, à M. Bouvier, en échange d’un appui douteux? Ils lui demandaient tout simplement de se livrer à eux, de recommencer avec eux les persécutions religieuses, les guerres de parti, de relever le drapeau de la politique la plus étroite, la plus exclusive, la plus tyrannique, comme si cette politique avait déjà si bien réussi; ils lui demandaient de mettre les conservateurs hors la loi, de se faire le chef d’une croisade nouvelle, de courir sus à l’ennemi, à la droite, aux partis monarchiques, au nonce, au pape, à l’église ! Il n’y avait qu’un mot à dire, la concentration républicaine était faite ou refaite pour la guerre ! Et M. le président du conseil, relevant la provocation, a pu leur répondre avec autant de bon sens que de résolution : «...L’ennemi, la droite!.. mais c’est une partie des représentans de la nation française. Non, le mot que vous nous demandez nous ne le dirons pas, nous ne pouvons pas le dire... Nous ne violenterons personne... Nous sommes une république ouverte, nous ne sommes pas un gouvernement de combat!.. » Rien de plus net, de plus juste, c’est le mot qui caractérise le plus vivement la situation, en séparant le ministère des radicaux qui ont voulu le tenter. C’est le programme qui a rallié une immense majorité dans la chambre. Eh bien! que M. le président du conseil fasse de ses déclarations une réalité; si ce n’est pas un simple expédient d’éloquence, c’est peut-être le commencement de la politique qui, en rétablissant une certaine paix intérieure par la modération, laissera le temps et la liberté de s’occuper des vraies affaires de la France.

Y aura-t-il, dans cette saison des vacances qui va bientôt s’ouvrir, pendant laquelle les chefs de chancelleries et les diplomates aiment à se promener et à se rencontrer, y aura-t-il quelque alerte imprévue pour l’Europe, des alarmes d’été comme il y a eu des alarmes d’hiver? Y aura-t-il, à défaut d’autres événemens dont le secret reste dans l’esprit des meneurs tout-puissans de la politique, quelque phase nouvelle, inattendue, de cette éternelle et multiple question d’Orient, toujours féconde en incidens et en surprises? Il y a dans tous les cas ces deux affaires, l’affaire bulgare et l’affaire égyptienne, qui ne sont pas sans doute près da finir, qui n’ont une importance, une signification européenne, que parce qu’elles sont comme le champ de bataille de toutes les compétitions, de toutes les influences rivales.