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de l’âme violemment émue, joie de l’esprit saisi par la brusque et triomphante synthèse d’une idée minutieusement analysée et reconstituée soudain.

Le premier morceau n’est que trouble et passion, le suivant n’est que gravité et recueillement. Sur une basse d’orgue qui descend lentement se pose un chant admirable. Nous parlions tout à l’heure de Mendelssohn ; en vérité, ses adagios ne sont pas plus beaux. L’adjonction de l’orgue à l’orchestre produit ici un effet extraordinaire, avec ces grands soupirs qui fortifient et veloutent la mélodie. L’adagio est traité plus librement que le premier morceau : l’idée y est seulement exposée, puis ramenée en réponses par les différens groupes d’instrumens, tantôt sans voiles, tantôt voilée au contraire sous des variations transparentes, par exemple sous un délicieux dessin de violons. Un instant rappelée par de sombres pizzicati de violoncelles, la phrase du premier morceau s’efforce de troubler cette quiétude ; mais peu à peu elle aussi s’apaise, se fond en modulations charmantes, et les pizzicati mêmes, doucement entraînés, accompagnent la dernière reprise du thème et rehaussent seulement sa tranquille beauté. Enfin, une dégradation chromatique à la Wagner et une cadence aussi heureuse qu’inattendue achèvent dans une paix profonde cet adagio, qui peut compter parmi les plus belles pages de la musique contemporaine.

Le scherzo qui suit est étincelant ; sa couleur, son allure fantastique rappellent un peu la Banse macabre. Le thème fondamental y revient encore, épars en gerbes de notes brillantes ; des arpèges de piano partent comme des fusées, les flûtes ont des gaîtés étonnantes ; on dirait que l’orchestre est aux mains d’une armée de lutins.

De puissans accords d’orgue ouvrent le finale, et aussitôt après un choral se fait entendre, soutenu par des batteries exécutées sur les hauts registres du piano. Ce choral n’est autre que le thème infatigable, source non encore tarie de l’œuvre tout entière. Un nouveau changement de rythme en a fait un cantique divin, derrière lequel l’accompagnement de piano met comme un nimbe d’harmonie, un fond de ciel où fourmillent de petits anges. L’effet orchestral est ravissant, et l’on ne trouverait son pareil que dans l’adagio du concerto en mi bémol de Beethoven. Le finale tout entier, un peu trop long peut-être, n’est fait que de ce thème haché, décomposé, travaillé avec une science, j’allais dire avec un génie étonnant. Quel merveilleux instrument de la pensée que le style symphonique ! Que d’aspects différens une seule idée peut recevoir ! À combien d’inversions, d’antithèses elle se ploie ! Deux fois seulement, une phrase charmante se dégage du contre-point et de la fugue ; elle semble le levain de cette pâte vigoureuse. Enfin, quand l’idée est épuisée, quand rien ne reste plus