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une importance exagérée. Il faut toujours se défier de cet instrument : il n’est guère agréable qu’à lui tout seul, et à soi tout seul. Ah ! si M. d’Indy voulait moins chercher, comme il trouverait davantage peut-être ! s’il voulait, lui et bien d’autres, se laisser aller un peu, prendre les choses plus simplement, faire de la prose sans le savoir !

Nous donnons furieusement aujourd’hui dans l’art laborieux, et prétentieux,.. et ennuyeux,.. L’ennui dans la musique ! le beau sujet d’article à notre époque, et de quel long article ! Il y aurait sa place, l’auteur du Chasseur maudit, des Variations symphoniques pour piano et orchestre, de Ruth, des Béatitudes, celui que ses zélés disciples appellent le Bach français, le Maître, et qui n’est au fond qu’un excellent professeur. Ils sont une douzaine dans Paris, de ces jeunes doctrinaires, qui s’en vont répétant sérieusement que Meyerbeer n’avait pas le sentiment dramatique, que Rossini ne savait pas la musique, que Gounod et Verdi sont des malfaiteurs, que Massenet est un sous-Clapisson ; et que M. César Franck a du génie. De tous ces paradoxes, les premiers seuls nous réjouissaient avant le Festival-Franck ; depuis, c’est le dernier qui nous réjouit le plus. Un Festival-Franck ! Il faut y avoir assisté pour comprendre à quel point ces deux mots-là jurent ensemble. Oh ! la froide solennité dans la froide salle du Cirque d’hiver ! On gardait son manteau pour écouter cette musique-là. Le Maître dirigeait avec onction et componction ses œuvres glaciales, et le sourire ne se figeait pas sur ses lèvres ; il avait l’air du Saint-Just de la musique. On jouait le Chasseur maudit, une rapsodie, et il souriait ; Ruth, oratorio biblique ; les Béatitudes, oratorio évangélique, tout cela gris, sans émotion, sans vie, sans rien de ce qui fait la grâce et la beauté, il souriait toujours. Non, vraiment, M. César Franck n’est pas le Maître, et la dévotion de ses fidèles est excessive. M. Franck, le plus doux et le plus affable des hommes, le plus sincèrement épris de l’art, et de son art, est aussi un organiste, un improvisateur hors ligne ; un musicien sérieux, très sérieux ; il sait à fond et il enseigne à merveille tout ce qui s’apprend ; mais le principal, en art, c’est ce qui ne s’apprend pas, et voilà tout ce que nous voulions rappeler.

Ce qui ne s’apprend pas pourrait bien être dans la symphonie en ut mineur de M. Saint-Saëns, acclamée et redemandée par le public du Conservatoire. Oui, ce public a battu des mains ; il a même trépigné, ou à peu près, « et dans ce doux asile, » comme disait Rameau, pareille ovation n’avait pas été faite depuis longtemps, je ne dis point à un virtuose, mais à une œuvre, surtout à l’œuvre d’un vivant ; là-bas, on ne fête que des ombres.

C’est avec une vraie joie, artistique et nationale, que nous saluons la symphonie de M. Saint-Saëns. Rien de plus beau dans ce genre n’a paru depuis Mendelssohn, et peut-être depuis Beethoven, ni chez nous,