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et les textes du haut empire romain, trouve des municipes dociles et désarmés, et non des républiques municipales.

Où le génie de gouvernement qui distingue Frédéric II apparaît surtout, c’est en Italie. Ce n’est même pas dans l’Italie du nord, où il s’acharne également à la tâche stérile et impolitique de détruire la liberté des villes, c’est dans le royaume sicilien. Là il est vraiment l’homme du progrès, un souverain réformateur, cherchant à réaliser, parmi les résistances de la féodalité angevine et dans cet amalgame des races italienne, grecque et sarrasine, un état, l’état moderne. Il est vrai que là même il n’a pas tout inventé. N’oublions pas que, dans le royaume sicilien, les empereurs souabes succédaient à une dynastie normande. Or les Normands représentèrent en Europe, du XIe au XIIIe siècle, une conception de gouvernement qui différait radicalement de la conception féodale. La Normandie elle-même ne ressemblait à aucune des provinces françaises. Le royaume fondé par Guillaume le Conquérant en Angleterre ne ressemblait à aucun des royaumes européens. C’est l’idée normande que Frédéric retrouve en Sicile. Tandis que, dans l’Europe entière, les administrations royales ont un caractère féodal et que toutes les fonctions appartiennent à de trop puissans vassaux, Frédéric II, dans l’Italie du sud, laisse à l’écart les grands seigneurs, s’entoure uniquement de petites gens, de légistes de profession, administre au moyen de fonctionnaires payés et révocables. Tandis que, partout ailleurs, les tribunaux forment un chaos inextricable, Frédéric délimite exactement les attributions des différentes cours, les organise en une hiérarchie rigoureuse, subordonne absolument les juridictions baronniales à la juridiction royale. Sa législation civile, sa procédure n’ont plus rien du moyen âge ; dans le droit criminel, la preuve par témoins remplace le duel judiciaire et les ordalies ; dans le droit civil, il fait prévaloir l’égalité des partages, l’aptitude des femmes à hériter, sauf pour un petit nombre de familles, qui continuent à être régies par le droit franc ou le droit lombard. Il a déjà une cour des comptes et une organisation financière que la France ne possédera pas avant le XVe siècle. Sous couleur de contributions de guerre, il établit sur tous les biens indistinctement, même sur les biens nobles, des collectes ou taxes en argent qui deviennent ensuite permanentes.

Deux ou trois siècles avant tous les souverains d’Europe, Frédéric comprend que le moyen d’avoir de bonnes finances, c’est d’assurer la prospérité de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Il abolit le servage dans ses domaines. Il y établit des fermes-modèles, appelle des colons étrangers sur les terres désertes, encourage la plantation de la vigne, en recommandant sagement de ne