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chrétiens pour jusqu’au jugement dernier. » En Italie, Marquard de Padoue comparait Frédéric au Christ : n’avait-il pas été victime comme lui du grand-prêtre Caïphe?

Frédéric avait donc touché juste. Comme plus tard Bonaparte, il s’était élevé d’un audacieux essor au-dessus des misères de cette vieille Europe, qui, lui aussi, u l’ennuyait. » Il avait également deviné ce don magique que possède l’Orient de grandir les noms.

Son retour en Occident fut un triomphe. Il rentrait investi d’un prestige éclatant, d’une force énorme d’opinion. Il n’eut qu’à se montrer pour balayer de son royaume de Naples les troupes papalines : ses soldats, de vrais croisés, bronzés par le soleil de Syrie, dispersèrent ces faux croisés, vil ramas d’aventuriers que de prétendues indulgences avaient autorisés à une guerre prétendue sainte contre un souverain chrétien, glorieux champion du Christ, sanctifié par le contact du Sépulcre.

Le pape lui-même, au milieu de ce déchaînement de l’opinion, se trouvait à sa merci. Il se voyait pris entre la défection de l’Italie méridionale et la défection d’une partie des cités lombardes. Exilé même de Rome, il lui fallut bien implorer la paix, relever l’empereur de l’excommunication, reconnaître la plus grande partie de ses prétentions, le recevoir à Anagni, l’appeler son « cher fils, » lui donner le baiser de paix. Bien plus, il lui fallut sanctionner ce traité avec El-Kamel, qu’il avait dénoncé comme impie, et rappeler à l’obéissance ceux des croisés, qui, plus papistes que le pape, refusaient de l’observer.

Frédéric atteignit alors à son maximum de puissance et de splendeur. Empereur en Allemagne, suzerain redouté dans la Haute-Italie, protecteur tout-puissant du peuple de Rome, souverain absolu dans le royaume des Deux-Siciles, roi de Jérusalem, dominant de ses flottes l’Adriatique et la Méditerranée, victorieux des païens de la Prusse par les armes de l’ordre teutonique qu’il a transporté des rivages de la Palestine à ceux de la Belgique, admiré et respecté des plus grands rois de l’Occident, n’était-il pas, en cette humiliation temporaire du saint-siège, le chef incontesté de la chrétienté ? Aux diètes de Francfort et de Mayence, il promulguait des lois pour l’Allemagne; à Melfi, il donnait une constitution à son royaume de Sicile; aux assemblées de Ravenne et d’Aquilée, il trônait en arbitre des cités italiennes. Mais quel singulier empire que celui des Hohenstaufen à ce moment, avec ses provinces allemandes, slaves, finnoises, italiennes, syriennes, avec ses quatre capitales : Francfort, Rome, Palerme, Jérusalem : sans parler de ses prétentions sur le royaume d’Arles !

Cette trêve entre le sacerdoce et le césarisme ne pouvait durer. Le