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pour préparer la pacification de la Grèce, en respectant toujours les droits de souveraineté de la Porte sur les provinces insurgées. M. de Metternich croyait avoir trouvé le moyen de tout concilier, de préserver la paix par le rétablissement des rapports diplomatiques entre le tsar et le sultan, de maintenir l’intégrité de la grande alliance, d’isoler et de réduire à l’impuissance la révolution hellénique. C’était une victoire du moment ou, si l’on veut, une nouvelle manière de gagner du temps!

Malheureusement, en effet, dans ces complications orientales qui commençaient à peine, qui semblaient n’être qu’un épisode lointain des affaires de l’Europe, tout échappait aux calculs, M. de Mettermch lui-même en convenait, et avant peu tout allait changer de face en Orient comme dans l’Occident. D’abord, l’insurrection grecque, qu’on croyait promise à une prochaine défaite, grandissait rapidement; elle grandissait par sa durée même dans les conditions les plus inégales, par la résistance indomptable qu’elle opposait aux Turcs, qui, ne sachant ni la vaincre ni l’apaiser, ne réussissaient qu’à fatiguer La diplomatie par leur impuissance et à exaspérer la lutte par leurs cruautés. Le bruit des premiers succès des Grecs, les noms de Colocotroni, de Canaris retentissaient en Europe, et cette insurrection naguère encore traitée en ennemie par les gouvernemens, accueillie avec hésitation par l’opinion, excitait maintenant les sympathies les plus ardentes. L’héroïsme des Hellènes, les massacres accomplis par les Turcs, la poésie des souvenirs et des traditions antiques, tout servait à émouvoir les imaginations, à populariser la cause et à faire de l’Occident le complice de cette révolution orientale. Le philhellénisme devenait une passion, même une mode.

Ce n’est pas tout : tandis que l’insurrection grecque grandissait par elle-même, d’autres événemens se succédaient en Europe et modifiaient sensiblement les alliances, la politique des cours. Dès 1852, lord Londonderry avait disparu de la scène par une mort volontaire, et il avait pour successeur comme chef de la diplomatie britannique le brillant et éloquent Canning, celui que M. de Metternich appelle un « météore malfaisant, » et dont il dit; « Un homme s’est élancé en Angleterre au timon des affaires ; il a visé à asseoir son pouvoir sur le culte des préjugés populaires dans son pays. » Canning portait dans les affaires extérieures de l’Angleterre son imagination ardente, un libéralisme à demi émancipé de la sainte-alliance, avec l’esprit de rivalité de sa nation. Sans aller jusqu’à une rupture avec la France, à l’occasion de la guerre d’Espagne, il lui opposait une neutralité hostile, encourageante pour les constitutionnels de Cadix et de Madrid. Il se hâtait de profiter de