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soumission, quelques signes nouveaux commencèrent à se manifester.

Ce n’est pas du premier coup que la transformation s’opéra. Le successeur d’Innocent, le vieux Honorius III, qui avait été autrefois chargé à Palerme de la tutelle de Frédéric, conservait pour celui-ci la faiblesse et l’aveuglement d’un père. Son caractère bénin, en éloignant toute chance de conflit entre le nouveau pape et le nouvel empereur, masqua la situation, favorisa une métamorphose, dont certains symptômes troublèrent cependant l’obstinée confiance du saint-père.

Il était fatal que Frédéric, en prenant la couronne impériale, en prît toutes les traditions et toutes les ambitions. L’erreur de Rome fut de croire qu’en changeant les personnes on pouvait changer les termes du problème. Rome avait d’abord condamné le sang des Hohenstaufen et cherché à exclure du trône Philippe de Souabe : contre lui, elle avait suscité Otton de Brunswick, qui, à ses débuts, s’était montré tout aussi pieux et docile que Frédéric ; mais, à peine empereur, Otton avait fait exactement ce que Frédéric Barberousse, Henri VI et Philippe de Souabe auraient fait à sa place. Ce guelfe était devenu aussi gibelin que les gibelins de Souabe. Alors Otton de Brunswick, à son tour, avait été frappé de l’anathème et contre lui Rome avait suscité l’héritier de Barberousse et de Henri VI. Si Frédéric II reprit aussitôt leurs traditions, c’était moins parce que leur sang coulait dans ses veines et parce qu’il était un rejeton de la souche maudite, que parce qu’il occupait leur trône. Rome aurait pu aussi bien s’adresser à un Saxon, à un Franconien, à un Bavarois : le résultat eût été le même.

Seulement, Frédéric II apportait dans la politique qui, fatalement, s’imposait à lui un génie qu’Innocent III aurait inutilement cherché dans toutes les races souveraines de l’Allemagne. Vraiment l’orgueilleux pontife avait eu la main heureuse : du premier coup, il était tombé sur l’homme qui devait porter le conflit séculaire à un tel degré d’acuité que ni la papauté ni l’empire n’y devaient survivre.

Pendant le court pontificat d’Honorius III, qui fut comme une somnolence du sacerdoce, Frédéric prend des libertés qu’Innocent n’eût pas tolérées. Il semble oublier sa promesse solennelle de maintenir séparées les couronnes d’Allemagne et de Sicile, car, en même temps qu’il fait reconnaître son premier-né à Palerme, il lui confère le duché de Souabe. Puis il travaille à le faire élire « roi des Romains, » c’est-à-dire héritier présomptif de l’empire. Bien plus, aux portes mêmes de Rome, il permet à des Allemands de se fortifier dans le duché de Spolète et autres terres que l’église regardait