Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/434

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anomalie au milieu de la foi universelle et de la dévotion aveugle du moyen âge, Frédéric II est un personnage tout à fait extraordinaire. A certains égards, on ne le croirait pas un contemporain de saint Louis, mais plutôt de Louis XV. Voltaire aurait pu lui emprunter plus d’un trait pour son Orosmane. L’empereur souabe Frédéric II fait penser, à plus de cinq cents ans d’intervalle, au roi de Prusse Frédéric II. Il se détache si vigoureusement dans la série des césars germains du moyen âge, qu’on pourrait bien lui donner le surnom que l’admiration des Allemands a décerné à son homonyme du XVIIIe siècle : Frédéric l’UNIQUE[1].


I.

Les débuts de Frédéric furent des plus humbles. Après la mort de son père, Henri VI, l’empire subissait une sorte d’éclipse: l’Allemagne était en proie aux guerres civiles suscitées par la rivalité de Philippe de Souabe, frère de l’empereur défunt, et d’Otton de Brunswick, chef de la maison guelfe. Au contraire, la papauté était dans tout l’éclat de sa puissance, avec un pape jeune, destiné à un long règne, ardent et impérieux, qui semblait comme le vrai successeur des Auguste et des Trajan, et dont les légats, comme les légats des anciens empereurs, faisaient trembler les peuples et les rois.

Frédéric, âgé de trois ans à la mort de son père Henri, de quatre ans à la mort de sa mère Constance[2], placé par le testament de celle-ci sous la tutelle du pape, ne semblait même pas devoir

  1. Le sujet a été traité, avant M. Zeller, par Fr. von Raumer, Geschichte der Hohenstaufen und ihrer Zeit, 1re édition en 1823, nouvelle édition, Leipsig, 1840-1842, 6 vol. in-8o. — Ch. de Cherrier, Histoire de la lutte des papes et des empereurs de la maison de Souabe. Paris, 1841-1851. — Höfler, Kaiser Friedrich II. Munich, 1844. in-8o. — Huillard-Bréholles, Historia diplomatica Friderici secundi, 9 vol. in-4o, 1852 et suiv. Le premier volume, préface et introduction, constitue une étude complète. — W. Schirrmacher, Kaiser Friederich der Zweite, 4 vol. in-8o, 1860-1865; Berlin.
  2. Les haines qui s’attachèrent plus tard à Frédéric II, haines d’une âpreté toute cléricale, contestèrent jusqu’à la légitimité de sa naissance. Pourtant sa mère, lorsqu’elle lui donna le jour, au cours d’un voyage pour rejoindre son mari, avait pris toutes les précautions imaginables. Elle avait voulu accoucher sur la place publique d’Iési, en un pavillon dressé à la hâte : de nombreux témoins y avaient été admiré parmi lesquels quinze prélats, tant cardinaux qu’évêques. Malgré tout, des malveillans répandirent le bruit que Frédéric était un enfant supposé, fils d’un boucher d’Iési. Sa mère jugea nécessaire de réfuter ces mauvais bruits au moyen d’une enquête ordonnée par le pape. Jean de Brienne, beau-père de Frédéric, l’invectiva un jour publiquement, l’appelant « mauvais diable, fils de boucher. »