Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/420

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de contraste ou de choc, comme M. Spencer semble le croire, qu’on fabriquera les sensations mêmes, les sensations primitives, lumière, chaleur, etc.? Non. Le contraste est un caractère commun des sensations, il ne peut être leur clément ; on ne fait pas les choses avec des contrastes, mais des contrastes avec les choses. Une relation sans les termes qu’elle relie, c’est un pont suspendu dans le vide sans points d’appui à ses extrémités. Le sentiment de différence, nous l’avons vu, est une façon complexe d’être affecté et de réagir qui ne peut se produire qu’après deux états, comme un troisième état différent des deux autres : c’est une conscience de transition ; loin d’être l’élément primitif, c’est un composé et un dérivé de différens états de conscience. Si donc nous nous sommes écartés des idéalistes qui veulent, avec Platon, élever la relation de différence dans le monde des Idées et lui refuser tout caractère sensitif pour notre conscience, nous nous écarterons également de ceux qui prétendent, sous l’empire des préoccupations mécanistes, constituer toutes les sensations avec le seul « sentiment de choc » comme élément.

Pas plus que la mécanique, la pure logique n’est capable d’expliquer tous les faits d’ordre mental. Nous ne saurions donc admettre l’opinion trop intellectualiste de M. Wundt, qu’il avait développée surtout dans la première édition de son ouvrage, mais dont on retrouve encore la trace dans la dernière édition. C’est, selon l’éminent psychologue, l’opération fondamentale de la logique, c’est le raisonnement qui fait le fond de la conscience et établit son « unité de composition. » — « La seule forme d’activité mentale, dit-il, qui ait le pouvoir de lier, d’unir, c’est le raisonnement : il est l’origine de toute synthèse, conséquemment de toute pensée ; tous les phénomènes mentaux se ramènent à une opération logique comme tous les phénomènes matériels se ramènent à un mouvement. » M. Wundt, dans cette recherche de l’unité, est allé jusqu’à définir l’esprit,. « une chose qui raisonne. « 

Cette définition a été adoptée et remarquablement développée dans un livre récent de M. Alfred Binet sur la Psychologie du raisonnement[1]. Toutefois, tandis que M. Wundt fait du raisonnement une opération essentiellement logique, M. Binet le réduit à une succession mécanique de trois images régie par des lois constantes. Pour représenter par comparaison le mécanisme du raisonnement et son rôle prépondérant dans la conscience, il cite ces fleurs que le froid dessine peu à peu sur les vitres des chambres en congelant notre haleine : elles ont beau offrir les formes les

  1. M. Binet est un disciple et collaborateur de M. Charcot qui a fait de très intéressantes études sur l’hallucination.