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ces élémens ne sont point, comme l’ont soutenu Platon et Kant, des formes intellectuelles, des cadres a priori, des idéalités, des rapports intelligibles, mais au contraire quelque chose de fondamental, d’intérieur et de vivant. C’est d’abord la sensation, qui est la manière spéciale dont la conscience est modifiée, puis l’émotion agréable ou pénible, enfin la volition motrice ou, si l’on préfère, l’appétit, qui est la manière originale dont la conscience réagit et imprime sa direction propre aux mouvemens organiques. Tous les faits intérieurs doivent être considérés sous ce triple aspect, qu’un philosophe anglais, Lewes, par comparaison avec les trois couleurs fondamentales du spectre solaire, appelait le « spectre mental, » Quant aux opérations « intellectuelles, » elles ne sont qu’une combinaison secondaire, un développement de la sensation, de l’émotion et de la volonté.


IV.

Les considérations qui précèdent nous permettront d’aborder un des plus grands problèmes de la psychologie contemporaine. Sous l’infinie variété des phénomènes matériels, lumière, chaleur, électricité, attraction, affinité, la science moderne a cherché « l’unité de composition, » et elle l’a entrevue dans le mouvement, dans le choc; la psychologie contemporaine, depuis Condillac, aspire à trouver la même « unité de composition » sous les phénomènes de l’ordre mental. Admettons provisoirement que cette aspiration soit légitime de tout point, et cherchons quelle sera cette unité, cet élément primordial. Nos psychologues contemporains ont cru trouver l’unité de composition mentale tantôt dans le domaine de la mécanique, tantôt dans celui de la logique. C’était se tromper de direction pour aboutir nécessairement à l’insuccès.

Selon M. Spencer et M. Taine, l’unité décomposition pour l’esprit est la même que pour le monde matériel : c’est le phénomène mécanique par excellence, le choc, qui, chez l’animal, devient « choc nerveux » et y a pour forme consciente le « sentiment de contraste. » — Nous ne saurions admettre cette théorie. Ni avec le choc transformé, phénomène tout extérieur et matériel, ni même avec le sentiment intérieur de contraste diversement combiné, on ne saurait former les sensations mêmes, les émotions, les désirs, tous les états de conscience. Qu’est-ce que le choc, sinon une rencontre, un rapport qui suppose lui-même des termes originaux entre lesquels il se produit? De même pour le sentiment de contraste : une sensation de lumière et une sensation d’obscurité préalablement données, une sensation de chaleur et une sensation de froid pourront bien le provoquer; mais est-ce donc avec des sentimens