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produites par le flux et le mouvement? » — À cette mobilité des choses sensibles Platon, opposa les immuables rapports que saisit la pensée. « Il y a des objets que l’âme connaît par elle-même, et d’autres qu’elle connaît par les organes du corps. Dans laquelle de ces deux classes ranges-tu l’être? — Dans la classe des objets avec lesquels l’âme se met en rapport immédiatement et par elle-même. — En est-il de même de la ressemblance et de la dissemblance, de l’identité et de la différence? — Oui. — La science ne réside donc pas dans la sensation, mais dans la réflexion sur la sensation.»

Comment raisonneraient de nos jours Socrate et Théètète, s’ils reprenaient leur entretien? Socrate aurait-il toujours le même dédain de la sensation? Platon maintiendrait-il une séparation aussi absolue entre la sensation et la pensée, aboutissant à une sorte de dualisme intellectuel comme celui des Persans? La pensée est Ormuzd, la sensation est Ahriman ; l’une est le dieu, l’autre le démon. Ne pourrait-on, sous la dualité devenue classique des opérations sensitives et intellectuelles, chercher une unité plus profonde et plus vraie? Nous croyons, pour notre part, que cette unité existe. On la trouvera peut-être si on porte son attention sur un point trop négligé par les platoniciens, par les kantiens, par tous les intellectualistes, quoiqu’ils l’aient pourtant eux-mêmes indiquée : le rapport des idées au désir et au mouvement, à « l’appétit » d’Aristote, au « vouloir-vivre » de Schopenhauer, qui est le grand ressort de la lutte pour la vie. Nous étudierons d’abord la sensation même; nous verrons qu’elle se détermine et se développe par la sélection naturelle, par l’action du milieu et par la réaction de l’appétit ou de la volonté chez l’être vivant. Puis nous montrerons que cette même action réciproque de l’appétit et du milieu dégage les rapports intelligibles entre les sensations, rapports attribués par les platoniciens à l’action du pur esprit. Enfin, nous examinerons les théories contemporaines sur « ’unité de composition des phénomènes psychologiques, » théories qui ramènent tout, soit à la sensation transformée, soit au mouvement transformé, soit au raisonnement transformé. Le tort commun des idéalistes et des sensualistes, beaucoup plus voisins les uns des autres qu’ils ne le croient, est d’avoir méconnu le rôle de la volonté et de l’activité motrice ; rétablir ce rôle, c’est préparer la conciliation des doctrines à un point de vue supérieur.


I.

Si nous n’avions que l’ouïe, sans aucun autre sens, les phénomènes extérieurs ne pourraient pénétrer en nous qu’en tant que phénomènes sonores, et la sensation de l’ouïe serait pour nous ce que