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la Madone de Saint-Sixte est-elle une expression moins accomplie de l’idéal mystique? ou plutôt n’est-ce point parce qu’elle nous montre la suprême élévation de la pensée religieuse réunie à toutes les beautés de la forme que nous admirons dans cette radieuse image un des plus purs chefs-d’œuvre que la peinture ait jamais produits?

D’ailleurs, même dans sa façon de traiter les programmes auxquels il doit se soumettre, il est encore permis de démêler la pensée propre du maître. Si faible que puisse être la part d’initiative qui lui est laissée, elle lui suffit, et son génie éminemment souple lui permet, sans cesser d’être lui-même, de se plier aux tâches les plus diverses. Dans des sujets très différens, il s’attache toujours aux côtés essentiels; il est surtout frappé de ce que chacun d’eux peut contenir de grandeur et, comme son art a ces qualités d’ordre, de convenance et de mesure qui répondent le mieux à la hauteur de l’idée qu’il s’est faite de son sujet, comme son talent aussi bien que son esprit vont d’eux-mêmes, et par leur pente naturelle, à ce qui est réglé, calme, clairement ordonné, l’exécution de l’œuvre s’harmonise avec la façon dont elle a été conçue, et son unité reste parfaite.

A bien des égards, on le voit, Raphaël doit être considéré comme un des représentans les plus heureux et les plus complets de son époque. Il en a partagé les sentimens et les multiples aspirations. Sans exagération, sans équivoque, il nous en a laissé des témoignages précis, nobles et élevés. Aussi comprend-on les faveurs dont cette société polie ne cessa pas de le combler. Elle était flattée des images que le maître lui offrait d’elle-même, images assez fidèles pour qu’elle pût s’y reconnaître et assez embellies pour qu’il lui fût permis de s’y admirer. D’autres, en ce temps même, auront eu des idées plus neuves, plus personnelles ; ils auront posé des problèmes et cherché des solutions plus difficiles. Avec une profondeur d’esprit plus grande et des curiosités à la fois plus vastes et plus exigeantes, Léonard aura travaillé à étendre le champ de toutes les sciences et de tous les arts, à chercher quels rapports unissent les unes aux autres. Michel-Ange, de son côté, au lieu d’accepter passivement les idées de son siècle, se sera raidi contre elles. Inquiet, sombre, renfermé en lui-même, il inaugurera l’ère de ces génies qui, volontairement malheureux par l’art où ils excellent, le prennent pour confident de leurs peines et y racontent, avec de grands cris de désespoir ou de révolte, des souffrances dont ils sont eux-mêmes les artisans. C’est vers ceux-là surtout que se portent aujourd’hui nos sympathies; leurs doutes et leurs désolations répondent aux nôtres, et nous retrouvons en nous-mêmes l’écho de toutes les agitations dont ils étaient remplis. Pour les dédommager