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poses chez ces personnages, qui assistent à la scène comme « des figurans calmes qui craignent de déranger l’harmonie de leurs attitudes. »

Cette indifférence pour l’idée, pour le « contenu, » un Italien l’a également relevée chez Raphaël et, dans sa remarquable Histoire de la littérature italienne[1], M. F. de Sanctis le range, avec tous les écrivains de cette époque, parmi les adeptes inconsciens de la théorie de l’art pour l’art, parmi ces virtuosi qui, pensant que l’art se suffit à lui-même, estiment que son indépendance est absolue et croient que « la forme peut être proposée pour idéal, qu’elle a le droit d’être aimée et étudiée pour elle-même. » La grâce d’une courbe, le charme d’une arabesque ingénieuse, tel assemblage de tons curieux, telle harmonie rare, tous ces mérites techniques poursuivis sans trop s’inquiéter des convenances intimes auxquelles ils peuvent répondre, telles doivent être, sinon les seules, du moins les premières préoccupations du peintre. Le dessin et la couleur deviennent ainsi le but et non les moyens de son art. Certes, ces moyens, qui pourrait en douter, ont une valeur essentielle. On n’est véritablement un artiste que si, dans l’art qu’on exerce, on en comprend l’importance, et ceux-là seulement méritent d’être comptés parmi les plus grands qui en quelque manière y ont excellé. Mais à séparer arbitrairement, comme on a prétendu le faire, l’art de l’humanité, et à l’isoler des grandes choses auxquelles celle-ci s’est toujours intéressée, à n’y plus rechercher que ce genre de délectations qui ne dépassent pas les sens ou ne touchent que superficiellement notre esprit, on risque d’en limiter l’appréciation exclusive aux artistes qui, restés seuls juges d’un art ainsi réduit, composeraient eux-mêmes le seul public auquel il pourrait prétendre.

Présentée en des termes aussi absolus, la thèse se soutient mal; en tout cas, elle ne concerne pas directement Raphaël. Si, par quelques côtés de son talent, il a donné prise à ces critiques, il serait injuste de lui imputer d’une façon aussi formelle la responsabilité du détachement qu’il montre parfois en traitant les sujets sacrés. Il était bien passé le temps où les artistes siennois, en tête des statuts de leur corporation, déclaraient que « leur mission était de manifester, avec la grâce de Dieu, les choses miraculeuses opérées par la vertu de la sainte foi. » Même parmi ces précurseurs qu’on a trop l’habitude de considérer comme les représentans attitrés de l’art religieux, combien déjà avaient avec lui librement pris leurs aises ! Entouré des édifiantes images dont Angélique de Fiesole avait sanctifié les murailles du couvent de Saint-Marc, Savonarole pouvait,

  1. Storia della letteratura italiaina, par Francesco de Sanctis, t. I, p. 247 et suiv.)