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qu’il avait d’ingénuité, de foi et de talent. Elles ont donc vécu, elles méritaient de vivre à côté des plus hautes manifestations de son génie, et dans les effusions de sa prière, plus d’une âme pieuse et tendre, cherchant à donner une forme à l’objet de son amour et n’en imaginant pas qui réalise mieux pour elle l’idéal chrétien de la vierge, évoque involontairement dans son souvenir les types adorables créés par Raphaël. Parvenu à sa pleine maturité, le maître pourra produire des œuvres plus fortes, il n’en fera pas de plus touchantes, ni de plus expressives. Avec un art plus savant, il abordera des données plus vastes; son intelligence toujours plus ouverte et son talent plus magistral lui en découvriront toutes les ressources pittoresques. Mais s’il est vraiment créateur dans sa façon de les comprendre et d’en traduire les beautés extérieures, nous essaierions en vain d’y découvrir la trace de ses idées propres et de ses intimes aspirations. Il n’a plus guère le temps de se consulter, du reste, ni d’éprouver ce que valent ces programmes qui lui sont proposés. On sent que les pensées auxquelles ils répondent ne lui tiennent pas au cœur: il passe indifféremment de l’une à l’autre, sans même indiquer ses préférences, sans y mettre autre chose que son génie d’artiste et cet éclectisme élevé qui se complaît tour à tour aux conceptions les plus opposées, mais qui ne se laisse enfermer dans aucune.

Un critique anglais de nos jours, M. Ruskin, s’est élevé avec force contre cette indifférence en matière de sujets qu’aurait professée le Sanzio : « Avant Raphaël, dit-il, l’art était employé à mettre en lumière la religion : avec lui, c’est la religion qui fut employée à mettre l’art en lumière. » Dans sa sévérité systématique, la formule est excessive. Il faut bien croire cependant qu’elle contient quelque part de vérité, car, avec son goût plus délicat et plus impartial, M. Charles Clément a marqué lui-même les réserves qu’il convient de faire à cet égard. Parlant de l’École d’Athènes, s’il la signale à la fois comme « un grand effort de talent et comme une œuvre accomplie, » il constate que « c’est aussi le premier essai, dans de pareilles dimensions, de cet art représentatif où la science remplace l’inspiration poétique, où une pensée imparfaitement définie ne semble appeler les personnages qu’à témoigner par leur beauté du savoir et de l’habileté du peintre. » Enfin M. Taine, lui aussi, opposant Raphaël à Rembrandt qui, « voyant en quelque sorte son sujet, est ému jusqu’aux larmes par le poignant sentiment de la vie et de la vérité, » ajoute, à propos de la Transfiguration: « Raphaël croit-il à quelque chose dans son miracle? Il croit, avant tout, qu’il faut choisir et ordonner des attitudes. » De là ce manque d’émotion, cette préoccupation trop évidente de leurs