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des assistans à la vue d’Ananie terrassé, ou d’Elymas qui, frappé de cécité, interroge l’espace de ses mains inquiètes. La hardiesse de la disposition dans la Vocation de saint Pierre ne vous frappe pas moins que cette figure du Bon Pasteur un peu séparée du groupe compact des apôtres et dont l’isolement l’ait encore mieux ressortir la douce et tendre autorité. Plus loin, dans le Sacrifice de Lystra, c’est saint Paul déchirant ses vêtemens avec l’indignation de l’outrage fait à sa modestie. Quel art enfin dans la composition tout entière du Saint Paul prêchant à Athènes ! Jamais, croyons-nous, l’enthousiasme que peut susciter une éloquente prédication n’a été exprimé d’une manière plus véhémente; jamais on n’a peint avec plus de feu la puissance d’une parole humaine, et dans l’élan de cet apôtre, les bras tendus vers le ciel, on sent l’impétuosité de la foi qui embrase et soulève son être tout entier.

Dans tous ces épisodes, dans le dernier surtout, les gestes des assistans prêtent un commentaire saisissant à l’action. Par la manière dont il dispose ses personnages, par la justesse de leurs attitudes, Raphaël arrive à rendre toutes les nuances des sentimens que doit faire naître son sujet. Il semble qu’on assiste à l’acte lui-même, et, ainsi qu’on l’a remarqué, cette succession d’impressions diverses, qui s’expliquent et se complètent mutuellement, ajoute à ses œuvres l’illusion du mouvement et triomphe en quelque sorte de l’immobilité à laquelle est condamnée la peinture. Le maître, d’ailleurs, dans ses derniers ouvrages, évite de multiplier les figures; mais aucune n’est inutile; chacune d’elles Goncourt efficacement à l’effet qu’il veut produire, il a compris que, trop nombreuses, elles risqueraient de l’amoindrir et de disperser l’attention. C’est avec une aisance et une liberté magistrales qu’il les groupe en vue de l’unité de son œuvre, très supérieur sur ce point à Michel-Ange, qui, s’il a su donner aux scènes peu compliquées des voûtes de la Sixtine une sublimité tout à fait grandiose, n’a pas entièrement évité la confusion dans les entassemens désordonnés du Jugement dernier. En face d’un tel rival, on comprend mieux tout ce que vaut chez Raphaël cet art de la composition dont il est par excellence le représentant. C’est là que ses plus nobles qualités paraissent dans tout leur éclat, et les exemples qu’il a laissés en ce genre sont restés inimitables.


IV.

L’influence de Raphaël, de son vivant, fut puissante, et le nombre toujours grandissant de ses élèves suffirait à prouver quelle séduction exerçait autour de lui le double ascendant de son caractère et de son talent. Tandis que Michel-Ange, malgré sa gloire, s’avançait