Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

danger imaginaire, et ce grand gaillard qui, au lieu de fuir par l’ouverture béante à côté de lui, reste suspendu au-dessus du sol qu’il atteint presque de ses pieds, préoccupé surtout de déployer une pose académique, tout cela, nous en conviendrons avec M. Taine, n’a rien de bien plausible ni de bien émouvant[1]. Nous n’aurions, en revanche, que des éloges à donner au Parnasse à la Messe de Bolsena, à l’Héliodore chassé du temple, comme aux figures allégoriques et à tant d’autres compositions qui marquent l’époque la plus glorieuse de l’infatigable artiste.

Même vers la fin de sa vie, lorsque, devenu assez indifférent à la valeur de l’exécution, Raphaël confiera un peu trop complaisamment à ses aides le soin d’interpréter sa pensée, il ne cessera cependant pas de progresser dans l’art de la composition. Jamais peut-être il n’y manifestera son génie plus complètement que dans les cartons des Actes des apôtres. Aussi croyons-nous qu’il convient d’accepter sur ce point le témoignage formel de Vasari, qui nous apprend que cet ouvrage colossal est bien tout entier de la main du maître. Partout, en effet, nous y retrouvons son entrain, le souffle généreux de son génie, et si ses élèves y ont collaboré, ce ne peut être que dans quelques parties accessoires. Sans chercher ici à quel degré ces cartons répondent aux conditions spéciales de la tapisserie, et à ne les considérer qu’au seul point de vue de leur valeur esthétique, ils nous semblent de tout point des merveilles de style et d’expression. Quelle richesse, quelle puissance d’inspiration dans cette suite de productions, les unes simplement pittoresques, les autres pleines de vie et de pathétique ! Si toutes commandent votre admiration, leur diversité même vous fait hésiter à confesser vos préférences. Ici, en face de la Pêche miraculeuse, vous restez séduit par l’ampleur du parti décoratif, par la superbe tournure de ces rudes pêcheurs dont la silhouette mouvementée se détache sur le bleu des eaux et contraste avec l’auguste sérénité du Christ assis à l’extrémité de la barque. Là, ému vous-même, vous comprenez l’effroi

  1. Le manque de lien de ces épisodes, les réminiscences de l’Enéide très peu justifiées en un pareil sujet et le désir évident de se mesurer avec Michel-Ange, en introduisant des figures nues dans cette composition, ne doivent pas cependant nous empêcher de reconnaître la beauté de la plupart de ces figures, surtout celles du groupe de femmes réunies au centre. Notons aussi, en passant, l’habileté avec laquelle Raphaël s’accommode de conditions souvent assez embarrassantes que lui impose la disposition architecturale des surfaces qu’il a à décorer. On dirait que, stimulé par cette contrainte, il déploie mieux encore la souplesse de son talent en tirant un parti imprévu de ces obstacles : par exemple, dans les épisodes du Parnasse, de la Délivrance de saint Pierre et du Miracle de Bolsena, dont la partie inférieure est bizarrement découpée par les fenêtres ou les portes qui y sont pratiquées. Plus tard, c’est avec un succès au moins égal qu’il enfermera quelques-unes des plus charmantes compositions de Psyché dans les lunettes ou dans les pendentifs irréguliers de la Farnesine.-