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attache à cette partie de son art, ses exigences sévères à cet égard et sa légitime préoccupation d’établir solidement ce qu’il considère comme la charpente de son œuvre.

Aussi quand il arrive à Rome, il est déjà bien préparé aux grands travaux de décoration que Jules II va lui confier au Vatican ; cependant il redouble d’efforts pour s’acquitter avec honneur d’une entreprise aussi vaste. Il pouvait, il est vrai, trouver plus d’un enseignement chez ses prédécesseurs. Déjà Giotto, puis Orcagna et Angélique de Fiesole, et plus tard les maîtres de la génération précédente: Benozzo Gozzoli, L. Signorelli, S. Botticelli et Domenico Ghirlandajo avaient eu à traiter des sujets analogues. Ils l’avaient fait avec des qualités et des succès divers, mais, malgré les progrès réalisés par eux, leurs œuvres, — nous en pouvons juger au Louvre par le Triomphe de saint Thomas d’Aquin de Gozzoli, avec ses incohérences, le manque de proportion des personnages et l’absence complète d’unité, — montrent assez clairement tout ce que l’art de la composition avait encore à apprendre. Les sculpteurs, sous ce rapport, fournissaient à Raphaël de meilleurs exemples, et pour l’ordonnance des groupes et l’entente pittoresque des sujets, il aurait trouvé chez eux des leçons plus profitables, notamment dans les bas-reliefs de Donatello, à Saint-Antoine de Padoue, et surtout dans ceux de Ghiberti, au Baptistère de Florence ou à la châsse de saint Zanobi. Lui-même d’ailleurs, dans la fresque de San-Severo, avait abordé, comme il allait avoir à le faire pour la Dispute du Saint-Sacrement, le difficile problème de relier entre eux des personnages placés les uns sur la terre, les autres dans le ciel, et forcément répartis, par conséquent, suivant deux zones distinctes qui divisent la composition. Outre qu’elle était plus abstraite, cette donnée de la Dispute se compliquait aussi des développemens qu’elle devait recevoir et du nombre des personnages qu’il fallait introduire dans cette double représentation du dogme fondamental de la religion catholique, affirmé sur la terre et réalisé dans le ciel. Raphaël comprit tous les dangers d’une pareille entreprise et il s’y prépara avec une courageuse opiniâtreté. Jusqu’à ce qu’il en eût prévu et fixé tous les détails, il n’hésita pas à remanier l’ensemble et les diverses parties de cette composition grandiose. Les esquisses ou les croquis faits par lui à cette occasion, — on n’en possède aujourd’hui pas moins de trente, — nous permettent d’assister en quelque sorte à l’éclosion de l’œuvre, d’en suivre pas à pas les progrès ou les arrêts momentanés, et cet intime travail de la pensée et du talent de l’artiste, avec ses tâtonnemens ou ses soudaines illuminations, est particulièrement intéressant à étudier. On connaît cette admirable composition où, rangés de part et d’autre en deux files égales, conversant ensemble avec une progression de sentimens marquée par l’animation croissante