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de progrès. Le temps n’était plus, il est vrai, où la théologie enchaînait les artistes par des prescriptions rigides réglant sévèrement les types, les costumes et les attributs des figures sacrées. Déjà les sculpteurs avaient ouvert la voie, et leurs vivantes créations, succédant aux vierges raides et inertes du moyen âge, pouvaient servir d’exemples aux peintres. Il appartenait à Raphaël d’achever la complète émancipation de cet art et d’en exprimer avec autant de charme que de souplesse toutes les nuances.

Quand on parcourt la suite de ses Madones, on est émerveillé des ressources inépuisables qu’il découvre dans ce thème modeste d’une mère tenant son enfant dans ses bras. Les traits divers qu’il imagine pour animer la scène, pour en varier les représentations, et surtout l’accord intime qu’il établit entre les deux personnages, sont exprimés par lui avec une grâce et un naturel qui, jusque-là, étaient inconnus. En donnant à un sujet si simple toutes les acceptions qu’il peut recevoir, Raphaël a créé des types que l’admiration unanime de la postérité devait consacrer. S’il est permis de relever les légers défauts de quelques-unes de ces compositions, — l’excès de la symétrie et la silhouette trop franchement pyramidale dans la Vierge de la maison Canigiani (pinacothèque de Munich), ou la disposition assez gauchement échelonnée de la Sainte Famille à l’Agneau (musée de Madrid), — le plus souvent, au contraire, l’heureuse pondération des masses, la grâce et le rythme des lignes, l’harmonieuse convenance qu’elles offrent avec l’idée que l’artiste se propose d’exprimer, constituent de véritables révélations et mettent en relief des beautés qui tiennent à l’essence même de l’art. La tendre affection de la Vierge pour son fils, l’adoration respectueuse dont elle l’entoure, sa modestie, sa chasteté, les ineffables jouissances de sa maternité divine, les sourires, les caresses qu’elle échange avec l’enfant pressé contre son sein, la part qu’elle prend à ses jeux innocens, parfois aussi la pensée de la grandeur de sa mission ou la prévision des suprêmes tristesses auxquelles elle est réservée, tels sont les sentimens que tour à tour l’artiste se plaît à rendre plus spécialement ou à réunir dans ces représentations d’un même sujet. Puis le cadre s’élargit peu à peu, et nous voyons les autres membres de la Sainte Famille animer ces simples épisodes et y introduire des élémens nouveaux d’intérêt, en se renvoyant l’un à l’autre l’écho d’un amour et de pensées qu’ils partagent. Avec les scènes empruntées à la vie du Christ et des saints, les silhouettes deviennent plus compliquées, et les relations à établir entre les personnages toujours plus nombreux augmentent la difficulté du problème. Les esquisses multipliées de Raphaël pour trouver leur groupement, pour les relier entre eux suivant une ordonnance à la fois claire et pittoresque, montrent l’importance qu’il