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de son talent, Raphaël produisait ces chefs-d’œuvre, nous voyons dans d’autres peintures cette puissance du coloris dégénérer en dureté : les carnations deviennent d’un rouge brique, les contours sont cernés ; dans les vêtemens les lumières tout à fait dépouillées présentent un écart excessif avec leurs ombres opaques ; les tons moyens manquent absolument et les silhouettes, découpées comme à l’emporte-pièce, tranchent sur la noirceur des fonds. La grande Sainte Famille du Louvre, et surtout le Spasimo de Madrid, accusent ces défauts dont la Transfiguration n’est pas non plus exempte, et justifient le propos de Sébastien del Piombo, qui, raillant cet aspect métallique de quelques-unes des peintures du Sanzio, prétendait qu’elles « semblaient en fer brillant, claires d’un côté et noires de l’autre. » (Lettre à Michel-Ange, 2 juillet 1518.)

En présence de ces inégalités persistantes, il est donc permis de dire que jamais Raphaël ne s’est beaucoup préoccupé de la couleur expressive ou harmonieuse. S’il l’a parfois rencontrée, c’est comme par hasard et d’une manière intermittente. Il ne paraît pas, d’ailleurs, que le maître ait songé davantage au clair-obscur. Si, dans la Délivrance de saint Pierre au Vatican, il s’est appliqué à rendre le contraste des lumières artificielles qui éclairent la scène, c’est là une exception dans son œuvre et comme un de ces problèmes que les artistes de cette époque aimaient quelquefois à se poser. Mais, en général, il n’a pas visé de pareils effets, et, s’il y a lieu de reprendre les oppositions trop violentes entre l’ombre et la lumière que nous avons relevées dans ses derniers ouvrages, nous ne pouvons que louer sans réserve l’éclairage ordinairement adopté par lui dans ses premiers tableaux et dans la plupart de ses fresques. Ce jour modéré, égal, diffus, qui n’altère en rien la pureté des formes, convient à la fois à la nature de son talent et au caractère des scènes qu’il se plaisait à traiter.

Le dessin, chez Raphaël, est-il besoin de le dire, est supérieur à la couleur. Dès le début, ses croquis, avec une précoce facilité, montrent une justesse et une grâce remarquables. Le jeune artiste est d’ailleurs scrupuleux, attentif à se reprendre. Les procédés qu’à l’exemple de son maître il emploie, la plume ou la pointe d’argent, ne s’accommodent pas d’à-peu-près et l’obligent à se rendre un compte exact des formes. Ces premiers dessins ne sont pas toujours exempts d’une certaine manière, et leurs draperies aux plis multipliés, chiffonnées à l’excès, paraissent assez monotones. Les figures aussi, sveltes, démesurément élancées, manquent un peu d’ampleur. Mais en face de la nature qu’il ne se lasse pas de consulter,