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ne furent obtenues qu’au prix de recherches multiples, lentement poursuivies dans toutes les directions.

De temps en temps, un homme de génie comme Giotto ou Masaccio, résumant en lui les progrès réalisés par ses devanciers, les poussait plus avant et montrait par ses œuvres les ressources nouvelles mises désormais au service de l’art. Puis, après lui, dans les diverses écoles, les artistes secondaires, chacun suivant ses aptitudes ou ses goûts, s’appliquaient de nouveau à perfectionner les moyens d’expression restés encore insuffisans. Dans ce travail, l’étude directe de la nature jouait toujours un rôle bien supérieur à celle de l’antiquité. Nous en trouverions au besoin la preuve dans ce fait que les artistes les plus remarquables de ce temps, ceux qui ont particulièrement excellé dans la représentation de la réalité, sont aussi ceux qui ont dû à leur talent de pouvoir un peu mieux comprendre la beauté des œuvres antiques. Nul doute que ce talent déjà acquis n’ait profité encore à ce commerce avec l’antiquité, bien fait évidemment pour développer et discipliner leur goût. Mais avant d’interpréter la nature, il fallait d’abord la connaître et s’appliquer à la copier exactement. Pour la plupart, du reste, l’antiquité demeurait un objet de curiosité plutôt que d’enseignement, et les réminiscences plus ou moins heureuses, — le plus souvent en tout cas très peu justifiées, — qu’on trouve de ses monumens dans leurs ouvrages, ne sont pas précisément ce qui les recommande à notre admiration. Chez les plus forts, chez Donatello, chez Signorelli et Mantegna, un naturalisme violent et même un peu farouche, qui se manifeste dans leurs œuvres les plus originales, contraste, bien plutôt qu’il ne s’allie, avec les souvenirs assez inopportuns de l’antiquité ; et quant à ceux qui ont cherché surtout la beauté dans sa grâce accomplie, comme Ghiberti, ou mêlée à je ne sais quel maniérisme inconscient, comme Botticelli, c’est dans l’observation profonde ou ingénue de la vie elle-même qu’ils en ont appris et trouvé l’expression.

Quelle idée, au surplus, ces maîtres auraient-ils pu se faire de cette antiquité encore si mal connue, qui n’était alors considérée que dans son ensemble et comme en bloc, puisque l’histoire et la séparation de ses divers styles demeuraient absolument ignorées et leur valeur respective tout à fait incertaine. Ce n’est qu’à une époque relativement récente qu’on a commencé à faire entre ces différens styles les distinctions nécessaires, et jusqu’au siècle dernier les œuvres romaines des basses époques restèrent prisées à l’égal des chefs-d’œuvre de l’art grec. À peine peut-on découvrir chez un sculpteur de génie tel que Ghiberti quelques nuances dans l’appréciation d’ouvrages si dissemblables, et malgré l’intelligence et la pureté de son goût, Raphaël lui-même, parvenu au terme de