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Afin de nous faire mieux connaître quelle était à ce moment la situation de l’art à Florence, M. Müntz s’est appliqué à remonter aux causes mêmes qui avaient provoqué le mouvement artistique dont cette ville était alors devenue le centre principal. Peut-être, en étudiant les origines de ce mouvement, a-t-il attribué une part excessive à l’influence de l’antiquité. C’est du moins une impression qui nous semble résulter non-seulement de la lecture de son Raphaël, mais de celle des deux autres ouvrages, si intéressans d’ailleurs, où il a abordé plus franchement cette question : les Précurseurs et la Renaissance en Italie et en France. Sans nous occuper de l’action que les écrits et les doctrines des anciens ont pu exercer sur la littérature, et en nous bornant ici à ce qui concerne la renaissance de l’art italien, nous croyons que l’étude de la nature a joué dans ce travail de rénovation un rôle bien autrement important et décisif que celle des monumens de l’antiquité.

On sait l’état où étaient tombés les arts en Italie pendant le moyen âge, et l’admiration enthousiaste excitée par la Madone de Cimabué nous donne une mesure significative de la barbarie à laquelle ils étaient descendus. Pour que cette œuvre encore si gauche dans sa raideur hiératique fût saluée avec de tels transports et fît croire à une résurrection miraculeuse de la peinture, il fallait que toute notion du beau eût entièrement disparu. Les ouvrages de l’antiquité n’avaient cependant pas cessé d’exister, et dans bien des villes, ses édifices, ses bas-reliefs ou ses statues s’offraient à la vue de tous. On vivait à côté d’eux sans les regarder et, loin d’en comprendre la valeur, longtemps encore après l’époque de la renaissance on continua de les détruire. Pour que les yeux s’ouvrissent à leur mérite, l’art avait à découvrir à nouveau la nature, à l’observer, à l’étudier. Peut-être les traditions anciennes eurent-elles plus de prise sur l’architecture, dont la décadence avait d’ailleurs été moins complète, puisque en tout temps on avait construit des édifices religieux. Mais pour les arts qui vivent plus particulièrement de l’imitation de la réalité, tout était à faire. Comme toujours, les sculpteurs commencèrent et devancèrent les peintres dans le perfectionnement de leur technique, dans la correcte représentation des formes et des proportions du corps humain. Les peintres avaient plus à créer, et c’est par de longs tâtonnemens qu’ils devaient améliorer successivement chacune des parties de leur art, lui constituer de toutes pièces des instrumens et des procédés de travail, découvrir la perspective, l’anatomie, apprendre la justesse du dessin, la diversité des types, l’expression, le sens du mouvement, les acceptions variées de la vie et les lois élémentaires de la composition. L’antiquité ne pouvait leur fournir aucun secours à cet égard, et toutes ces acquisitions nécessaires