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d’Héliodore, et, malgré son caractère ombrageux, il ne cessa pas jusqu’à sa mort de lui témoigner une bienveillance extrême.

Avec Léon X, on le sait, la situation de Raphaël allait grandir encore, et promptement il devenait le favori de ce prince ami du faste, qui, sans compter, puisait dans les trésors de la chrétienté tout entière pour satisfaire la magnificence de ses goûts et rehausser le prestige extérieur de la papauté. Propre à toutes les tâches, Raphaël ne savait en refuser aucune. A côté des grands ouvrages qui, relevant plus directement de son activité propre, auraient suffi pour l’absorber, il lui fallait pour complaire au souverain pontife diriger et surveiller lui-même la confection de tapisseries, de mosaïques, de marqueteries, de pièces d’orfèvrerie, de faïences ou de sculptures pour lesquelles il avait à fournir des maquettes ou des dessins. Autour du maître, sans parler des aides que nécessitaient tant de travaux divers, les élèves affluaient en foule, attirés par sa célébrité et bientôt séduits par l’affection qu’il leur montrait. « Il les aimait comme ses enfans, » dit Vasari; et, avec une clairvoyance étonnante, il savait, en maintenant entre eux la bonne harmonie, discerner leurs aptitudes et assigner à chacun d’eux la part de collaboration qui convenait le mieux à son genre de talent. L’usage du monde, la fréquentation des hommes les plus distingués avaient encore développé en lui le tact qu’il apportait dans la conduite de sa vie. Dans cette haute situation qu’il avait conquise, il conservait sa modération et sa courtoisie habituelles, et il tenait sans effort son rang parmi les premiers. Mais, à l’occasion, par un mot piquant, par une repartie spirituelle, il rappelait à ceux qui auraient été tentés de l’oublier le respect de sa propre dignité. Le plus souvent d’ailleurs, l’ascendant légitime de son caractère et de son génie suffisait à lui assurer la sympathie de tous.

Aussi son crédit était considérable. Il avait retrouvé à la cour de Léon X bien des appuis parmi les grands seigneurs, les diplomates, les lettrés et les prélats, que déjà il avait connus à Urbin, à Pérouse et à Florence. Par une sorte de progression naturelle, les plus éminens de ces personnages avaient vu grandir leur position avec la sienne, et comme lui ils arrivaient à Rome pour y obtenir dans les postes les plus élevés la consécration de leur mérite. Ce n’étaient plus des protecteurs, c’étaient des égaux ou même des amis que Raphaël comptait maintenant en eux. Mais, avec cette situation aussi en vue, les occupations de l’artiste se multipliaient. Il ne s’agissait plus seulement pour lui de contenter l’impatience fiévreuse du pape, qui, après l’achèvement des chambres, avait presse la décoration des loges; il avait encore à satisfaire aux nombreuses commandes qui lui venaient des riches amateurs, des princes italiens et des souverains étrangers. Les Sybilles de Santa-Maria della