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soient les esquisses de Raphaël qui se rapportent à ces travaux ont été exécutées d’après les indications de Pinturicchio, qui, évidemment, s’était réservé la direction de l’ensemble. Les fresques de la Libreria, du reste, ne diffèrent pas sensiblement des autres ouvrages du même genre dont Pinturicchio est l’auteur. Avec la même facilité dans les compositions, elles présentent des inégalités et des faiblesses d’exécution pareilles.

Par un hasard assez imprévu, c’est à Sienne, dans cette ville vouée par son passé aux traditions du mysticisme le plus pur, que Raphaël devait faire connaissance avec l’art de l’antiquité. Le groupe des Trois Grâces, déjà exposé dans la bibliothèque du Dôme, fit sur lui une impression assez vive pour que, dans un tableau qu’il peignit vers 1506 (aujourd’hui chez lord Ward), il en reproduisît exactement la disposition. Il nous paraît cependant que le dessin bien connu de Raphaël, qui appartient à l’académie des beaux-arts de Venise, est d’une date postérieure à ce premier séjour à Sienne, et nous doutons même qu’il ait été fait directement d’après le marbre original. Si les cassures et les attitudes de deux de ces figures y sont fidèlement copiées, l’aisance magistrale de l’exécution, les accens de la vie dans les indications du modelé, montrent une largeur et une sûreté qui ne se retrouvent dans aucun des dessins de l’artiste à cette époque. Le travail de transposition auquel il s’est livré à cette occasion et le réalisme de certains détails dénotent d’ailleurs une connaissance familière des formes féminines que, jusque-là, faute de modèles, il n’avait pu encore étudier sur le vif. On est donc autorisé à penser que le dessin de Venise doit être contemporain du tableau pour lequel il a été fait et qu’il n’a sans doute précédé que de peu de temps. Le séjour de Raphaël à Sienne fut du reste très court, car nous savons qu’à cette date de 1504, il revint à Urbin, où sa renommée, toujours grandissante, lui assurait de la part de ses compatriotes l’accueil le plus cordial. Dès le commencement du mois d’octobre de cette même année, il en repartait pour Florence, porteur d’une lettre de la duchesse Jeanne della Rovere, qui le recommandait au gonfalonier Pierre Soderini comme « un jeune homme modeste, aimable... et bien décidé à se perfectionner dans son art[1]. »

Raphaël, jusque-là, n’avait vécu que dans des centres relativement

  1. Raphaël ne devait pas cesser d’entretenir des relations avec sa ville natale, et il se montra toujours reconnaissant de l’appui qu’il avait trouvé près de ses souverains. Plus tard, il profitera de toutes les occasions qui s’offriront à lui de les visiter et de leur être agréable. Pour leur témoigner sa gratitude, il s’empressera de les informer de toutes les faveurs dont il sera comblé, pensant « qu’ils apprendront avec plaisir l’honneur acquis par un de leurs sujets. » (Lettre à son oncle, Simone di Ciarla, à Urbin; 1er juillet 1514.)