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d’autres artistes de toute sorte. Après s’être fait élever un palais, chef-d’œuvre de Luciano da Laurana, il avait rassemblé les productions des peintres et des sculpteurs les plus remarquables de ce temps. Dans la collection formée par ses soins et accrue par son fils Guidobaldo, ou dans les églises de la région, on pouvait admirer non-seulement des ouvrages de Luca della Robbia, de Donatello, de Signorelli, de fra Carnevale, de Mantegna, de Melozzo da Forli et de Piero della Francesca, mais même des peintures de Juste, de Gand, que Frédéric avait fait venir à sa cour, et un tableau de Van Eyck, le Bain de femmes qui malheureusement est perdu aujourd’hui. Ces noms disent assez ce qu’étaient les goûts de Frédéric, et l’éclectisme intelligent qu’il professait en matière d’art.

Raphaël, on le voit, outre les premières leçons qu’il avait reçues de son père, trouvait à Urbin même bien des enseignemens utiles. A raison de leur mérite et de leur diversité, ces ouvrages des maîtres les plus célèbres devaient stimuler sa vocation et lui montrer les interprétations variées que l’art peut admettre. Ce profit fut pour lui d’autant plus considérable que son séjour à Urbin se prolongea bien au-delà du terme qui lui était autrefois assigné. La date 1495, indiquée naguère et donnée aujourd’hui encore par quelques historiens comme étant celle de son entrée dans l’atelier de Pérugin, doit être, en effet, reculée de plusieurs années, M. Springer ayant prouvé que, de 1493 à 1499, ce dernier ne résida presque jamais à Pérouse. Il semblerait, d’ailleurs, peu admissible qu’au lendemain de la mort de son père, le jeune orphelin eût quitté Urbin, à peine âgé de douze ans. Les débats réitérés que le règlement de la succession de Giovanni occasionna entre sa veuve et le prêtre Bartolommeo Santi, oncle et tuteur de Raphaël, montrent, il est vrai, que de ce côté de sa famille l’enfant n’avait pas rencontré grand soutien. Mais un autre de ses oncles, le frère de sa mère, Simone Ciarla, qui l’aimait tendrement, et dont l’affection pour lui ne devait pas se démentir, ne l’aurait pas ainsi abandonné à lui-même. Dans les documens relatifs à ces affaires d’intérêt, on ne rencontre, du reste, aucune mention de l’absence de Raphaël avant l’année 1500; il est donc probable que, jusqu’à cette date, il continua de demeurer dans sa ville natale. Il nous paraît également très probable qu’il reçut pendant cet intervalle les leçons de Timoteo Viti, et M. Morelli, qui le premier a émis cette hypothèse[1], l’appuie de sérieux argumens, en faisant ressortir les impossibilités et les contradictions des assertions de Vasari et de Passavant à ce propos. Il est inadmissible, en effet, qu’après avoir passé cinq ans à Bologne dans

  1. Die Werke italienischer Meister in den Galerien von Miinchen, Dresden und Berlin, par Ivan Lermolieff (Morelli); Leipzig, 1880, 1 vol. in-8o, p. 325 et suiv)