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dont le besoin était ressenti. La totalité des écus d’argent d’origine italienne, qui ne doit pas dépasser actuellement 450 millions, serait insuffisante, même en supposant le régime de l’étalon d’or, après règlement de compte avec les pays associés, l’eût-on fait rentrer intégralement : le contingent serait à peine de 16 francs par tête d’habitant. Il me paraît certain que l’Italie serait la première à demander une plus prompte liquidation, si elle ne craignait pas que sa précieuse réserve fût trop fortement entamée par l’échange de l’argent contre l’or; mais n’a-t-il pas déjà été admis que les conversions de ce genre seraient reportées sur cinq ans? L’intérêt de la France est de concéder toutes les facilités possibles à ses coassociés pour sortir elle-même de la situation onéreuse où elle se trouve engagée.

La convention latine, qui doit être dénoncée une année avant son expiration, se trouve déjà réduite à une durée effective de deux ans et demi. Il serait prudent d’abréger ce délai ; je crois qu’on pourrait amener dans cette voie les gouvernemens intéressés, non pas en renouvelant ces conférences solennelles où l’on échange de longs discours, mais par des négociations intimes, loyales, où les éventualités seraient étudiées avec précision en vue d’une pratique prochaine. On comprendrait assurément qu’une liquidation immédiate, effectuée sur la base et suivant les principes de l’étalon d’or, rendrait à l’argent, limité dans son emploi et utilisé seulement comme signe fiduciaire, un plein pouvoir qu’il perd quand on en fait une marchandise à laquelle on conserve comme aujourd’hui un cours sans limite, avec une force libératoire supérieure à sa valeur commerciale. Dans ce système, l’argent, après échange contre l’or, ne serait plus une occasion de perte; il y aurait plus de facilités à faire obstacle à la contrefaçon, qui est une sérieuse menace dans l’état actuel; l’Italie en sait déjà quelque chose, et la Belgique ne doit pas être sans inquiétude à ce sujet. Enfin, tout porte à croire que dans trois ou quatre ans, la déchéance du métal argent sera plus prononcée qu’aujourd’hui, sinon complète. La liquidation serait déjà bien laborieuse en 1887 : qui peut savoir ce qu’après 1891 elle soulèverait de difficultés et de dangers parmi les peuples latins ?

Il me reste à examiner la situation monétaire des pays étrangers à l’Union latine, notamment de l’Allemagne, de l’Angleterre relativement à l’Inde, des républiques sud-américaines et surtout de l’Amérique du Nord, où se dénouera prochainement, selon moi, la question dont le reste du monde est préoccupé. La prudence exige, en effet, que l’on recherche s’il n’existe pas, en dehors de la France, des obstacles de nature à rendre périlleuse la réforme que nous ne pourrons pas éviter.


ANDRE COCHUT.