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le prix de revient. L’argent répandu dans le monde a augmenté en quantité et augmente encore, au point de devenir comme le cuivre en disproportion évidente avec les besoins. Si son rôle commercial n’était pas réduit, il mériterait le nom qu’on lui a déjà donné d’assignat métallique. Au contraire, lorsqu’on en fait usage dans une mesure étroitement limitée, il change de caractère : il cesse d’être un équivalent et devient une sorte de titre fiduciaire dont le pouvoir, sanctionné par la loi, est légitimé par son utilité; voilà pourquoi, dans ces conditions restreintes, il conserve une pleine valeur qu’il perdrait infailliblement s’il était multiplié à l’infini.


III.

Aujourd’hui, d’ailleurs, la limitation est devenue une nécessité sociale qui domine toutes les autres considérations ; c’est un moyen de contrôle, c’est l’unique défense contre les spéculations criminelles que doit suggérer un écart trop grand dans la valeur commerciale des métaux précieux.

La contrefaçon, qu’il ne faut pas confondre avec le faux monnayage, est beaucoup plus dangereuse ; elle consiste dans une imitation aussi exacte, aussi décevante que possible de la monnaie légale ; elle reproduit le métal fin, l’alliage, le poids droit, le module, les effigies ; elle vaut commercialement un prix égal à celui de la pièce émise par l’autorité. Sa fabrication n’en est pas moins une escroquerie, un vol mesurable par la différence de valeur positive entre la pièce imitée et la pièce vraie. Ce genre de fraude, je devrais dire ce crime antisocial, n’est praticable que sous le régime du bimétallisme, et dans les cas où, comme dans les pays de l’Union latine, le métal employé frauduleusement est inférieur dans le commerce au cours fiduciaire édicté par la loi. On ne s’est jamais assez défié d’une engeance abjecte qui a existé en tout temps et en tout pays, et qui épie, avec l’infatigable patience du fauve à l’affût, les moindres occasions de profit résultant des incidens monétaires ; des gains imperceptibles pour le vulgaire sont saisis au passage. On a longtemps opéré en Suisse, dans l’industrie horlogère, le triage des napoléons pour retirer les pièces qui excédaient le poids droit, et réaliser par la fonte une mince plus-value. On fabrique encore en Angleterre, assure-t-on, des sacs en étoffe rugueuse enduits à l’intérieur d’une matière grasse ; on s’en sert pour donner à des pièces contrefaites un air de vétusté en rapport avec leur âge supposé, ou bien on y met des pièces neuves qu’on agite violemment pour en détacher des parcelles qui restent collées à l’enduit.